La gouvernance des ressources naturelles en Afrique francophone est plus que jamais essentielle : Discussion avec une actrice de la société civile congolaise
Avec un coup d'État en Guinée, pays riche en bauxite, une production de pétrole et gaz naissante au Sénégal et la renégociation potentielle de contrats miniers en République Démocratique du Congo (RDC), les pays d'Afrique francophone ont plus que jamais besoin de renforcer la gouvernance de leurs ressources naturelles. À cela s'ajoutent les effets de la pandémie et la transition énergétique, qui ont remis à l’ordre du jour les questions de dépendance et de diversification économique, le rôle des minéraux stratégiques dans la transition énergétique et les défis liés aux négociations sur le climat. En raison de cette complexité du secteur et de ses technicités, sa gouvernance bénéficie de la contribution d’organes de surveillance (les membres de la société civile et les médias, entre autres) outillés et aptes.
L’université d’été sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone a pour ambition de répondre à ces besoins en offrant une formation aux organisations de la société civile et des médias. Plusieurs parmi eux se trouvent dans des pays avec un espace civique restreint, limitant ainsi leur participation dans les questions d’affaires publiques. Des initiatives visant à promouvoir une gestion plus transparente et responsable du secteur, comme l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), offrent cependant un espace de dialogue multipartite. Ces espaces, ainsi que la formation proposée, sont autant d’opportunités pour ces acteurs de maximiser l’efficacité de leurs interventions sur ces questions ainsi que leur impact.
La 10ième session de l’université d’été du CEGIEAF, après avoir été retardée en 2020 à cause de la pandémie, se tiendra en ligne du 20 septembre au 01 octobre 2021 et du 25 octobre au 05 novembre 2021. Elle est organisée par Natural Ressource Governance Institute (NRGI) en partenariat avec la faculté des sciences sociales et de gestion de l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) à Yaoundé au Cameroun, dans le cadre du Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF). La formation regroupe une soixantaine de participants en provenance du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée (Conakry), de Madagascar, du Mali, du Niger, de la RDC, de la République centrafricaine, de la République du Congo, du Sénégal et du Tchad. Les participants sont issus de la société civile, des médias, des universités, de parlements et du secteur public. A travers cette formation, et avec l’appui d’intervenants experts sur différents aspects de la gouvernance du secteur extractif (dont des juristes, économistes et fiscalistes), les participants vont approfondir leurs connaissances sur les défis et les enjeux de la gouvernance du secteur extractif, et leurs compétences sur des sujets tels que : la chaine de décision de la charte des ressources naturelles ; l’économie politique des industries extractives ; le cadre législatif et règlementaire de la gouvernance des ressources naturelles ; les initiatives de transparence et de bonne gouvernance dans le secteur extractif ; la fiscalité minière et des hydrocarbures ; l’Indice de gouvernance des ressources naturelles ; la gestion des revenus ; la gestion des impacts environnementaux, sociaux et économiques et ; l’exploitation des ressources naturelles et le développement durable.
Au début de la formation, j'ai pris le temps d’échanger avec l'une des participantes, Mme Mandesi Mateso Nicole du Carter Center et basé à Lubumbashi en RDC. Elle travaille au sein d’un programme d’appui aux partenaires locaux pour renforcer le suivi des flux de revenus dans le secteur extractif du pays et de la divulgation des contrats (par le biais de CongoMines). Nous avons discuté de ce qui l'anime par rapport à la gouvernance du secteur extractif et de la participation et transparence en RDC. Elle a aussi partagé l’a motivée à participer à cette formation. Pays riche en minerais critiques, avec entre autres la demande croissante du cobalt pour les besoins liés à la transition énergétique, la RDC a renforcé son cadre légal et règlementaire de gestion du secteur minier en 2018. Cependant la mise en œuvre de ces lois et règles reste faible.
Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler dans la gouvernance du secteur extractif ?
Mme Nicole Mandesi Mateso : En analysant le rapport ITIE RDC en juin 2014, j’ai été très indignée de voir les écarts entre les divulgations de recettes de l’Etat et les paiements des entreprises. Les écarts étaient très significatifs et les justifications fournies n’étaient pas satisfaisantes. Les recommandations de la société civile ont poussé la RDC à travailler pour la réduction des écarts dans les divulgations à travers la publication d’un rapport complémentaire, ce qui a valu à la RDC le statut de pays conforme en juillet 2014 dans le cadre de la validation ITIE. Voir que les apports des membres de la société civile ont contribué à l’amélioration de la transparence a été un déclic pour moi d’œuvrer dans ce secteur.
Pourquoi avez-vous choisi de participer à la formation de l’université d’été du CEGIEAF ?
La formation me permettra tout d’abord d’acquérir des connaissances pour approfondir ma compréhension du secteur extractif qui est vaste et complexe. Ensuite, à pouvoir jouer efficacement mon rôle, en veillant à ce que la transparence et la bonne gouvernance de ce secteur contribue à l’amélioration des conditions de vie des populations. Les cours retenus sont les clés de cette connaissance d’où mon intérêt à participer à l’université d’été du CEGIEAF. En y participant, j’espère approfondir mes connaissances sur l’analyse de contrat, la législation, la fiscalité, la collecte et la gestion des revenus, les impacts sociaux et environnementaux, et l’impact des ressources extractives sur le développement, afin de me permettre de bien accompagner les organisations de la société civile congolaises et contribuer aux réformes.
Quelle est la plus grande priorité à aborder en termes de gouvernance du secteur extractif dans votre pays ?
Il y a trois ans maintenant que la loi minière a été modifiée et complétée, apportant ainsi des innovations comme le versement direct par l’entreprise de 15% de la redevance minière aux entités locales de leur ressort. Certes, cette nouvelle disposition permet aux entités de toucher directement la rente minière pour la réalisation de projet de développement des infrastructures communautaires de bases au profit des communautés impactées par l’exploitation minière, mais plusieurs défis demeurent auxquels la loi n’a pas fourni des réponses. Il s’agit de partage de la redevance entre deux entités qui sont en superpositions et du chevauchement de l’activité minière sur deux ou plusieurs entités. Pour pallier ces problèmes règlementaires, plusieurs gouvernements provinciaux ont recouru à des accords de partage mais, malheureusement, émiettent le revenu qui devrait revenir à une entité. Au-delà de ces faits légaux, il se pose aussi les problèmes d’ordre pratique. Entre autres, ceci inclut la capacité des entités territoriales décentralisées à pouvoir gérer ce revenu. On remarque que les animateurs locaux se livrent aux achats des véhicules et construction de leur maison, utilisant donc les revenus destinés à l’investissement pour des besoins de fonctionnement et à des fins personnelles. Une somme réduite de ce revenu est allouée à la construction des infrastructures communautaires de base. Les animateurs locaux n’ont pas la maitrise des statistiques de production de substance minérale exploitée par l’entreprise pouvant leur permettre d’estimer les montants de la quotité qu’ils devront percevoir. La plupart des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) ne disposent pas de plan de développement local pouvant les guider dans le choix de projets à exécuter. Le mécanisme de transparence et redevabilité au niveau des ETD n’existe quasiment pas. Pour remédier aux problèmes liés à la règlementation, les parties prenantes ont proposé des mécanismes de partage de la quotité de 15% en cas de superposition et chevauchement par un arrêté qui est en cours d’adoption. En plus de cela, le Carter Center, Ressource Matters et sept organisations locales de la société civile réunis au sein du consortium « Makuta ya Maendeleo » développent une stratégie nationale de la bonne gestion de la redevance minière.
Comment allez-vous mettre en pratique les connaissances que vous allez acquérir pendant la formation ?
Par l’accompagnement des organisations de la société civile afin d’obtenir les réformes au pays.
Suivez-nous pendant la formation via twitter et veuillez nous contacter à l’adresse : [email protected] pour tout renseignement complémentaire.
Lucain Nyassi Tchakounte est associé du programme régional pour l'Afrique francophone a NRGI.
Authors
Lucain Nyassi Tchakounte
Capacity Development Officer