Retour sur le diagnostic de corruption sur le secteur de la bauxite en Guinée un an après : avancées, défis et perspectives
La bauxite est un secteur clé en Guinée mais cette industrie est confrontée à de nombreux défis. La Guinée possède les plus grandes réserves au monde de ce minerais stratégique qui permet notamment de produire l’aluminium nécessaire à la transition énergétique. En 2022, les exportations de bauxite ont atteint un niveau historique, avec près de 103 millions de tonnes de production annuelle. D’après le rapport de l’Initiative de Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) 2021, la bauxite représente près de 60% des 630 millions de dollars de revenus générés cette année-là par le secteur minier du pays.
Pourtant, derrière ces chiffres, des questions sur les pratiques de gouvernance et les enjeux liés l’exploitation de ce minerai sont régulièrement posées par les médias et la société civile guinéenne. Les revenus substantiels générés n’ont pas encore conduit à une amélioration tangible des conditions de vie des citoyens. De plus, le secteur, déjà vulnérable à la corruption, pourrait voir ces risques s’aggraver en raison de la forte augmentation de la demande attendue dans les années à venir.
Nécessité du diagnostic et de la lutte contre la corruption
C’est dans ce contexte qu’un diagnostic de corruption dans le secteur de la bauxite en Guinée et un plan d’intervention visant à renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité ont été entrepris par un groupe d’acteurs de la société civile. Le groupe a finalisé le diagnostic à la mi-2023, avec le soutien des parties prenantes de l’ITIE-Guinée et l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC).
NRGI a accompagné cette initiative basée sur notre outil de diagnostic de corruption. Ce diagnostic a permis d’identifier certaines des formes de corruption les plus préoccupantes et leurs causes. Celles-ci concernaient l'octroi des licences minières, les pratiques fiscales, la transparence des accords miniers et l'impact de la sous-évaluation de la qualité de la bauxite et des prix de transfert sur les revenus. Cet exercice a permis d’élaborer un plan d'intervention pour prévenir ces pratiques. Les acteurs de la société civile ont joué un rôle crucial en mobilisant l’ensemble des parties prenantes pour obtenir leur adhésion et soutien, les invitant à s’assoir autour de la table pour discuter des risques identifiés et définir ensemble les interventions pour y remédier. Symbole de ce processus consultatif et inclusif, le plan d’intervention final a été publié sur le site internet de l’ITIE-Guinée, qui s'est engagé à contribuer activement à sa mise en œuvre.
Près d’un an plus tard, alors qu’à Vilnius les participants à la 21ème session de l’IACC (International Anti-Corruption Conference) discutent des expériences de lutte contre la corruption de par le monde, il nous semblait important de faire le point sur la mise en œuvre de ce plan d’intervention : les progrès réalisés, les défis rencontrés et les prochaines étapes attendues.
Les acteurs de la société civile espéraient que ce plan d'intervention, basé sur de larges consultations, des faits et une documentation robuste, constituerait le cadre idéal pour renforcer les efforts de lutte contre la corruption dans le secteur minier guinéen. Cependant, comme dans toutes les actions anticorruptions, la mise en œuvre effective des réformes est compliquée et semée d’embuches, en raison notamment de la réticence au changement des acteurs politiques et économiques.
Du diagnostic à l’action
La publication du diagnostic de corruption a effectivement servi de catalyseur pour relancer le débat sur la corruption dans le secteur minier, bénéficiant d’une large couverture médiatique. De nombreux articles de presse et émissionstélévisées ont discuté des risques de corruption identifiés, permettant de mobiliser les différents acteurs de la lutte contre la corruption dans le secteur. Cela a contribué à renforcer la pression sur les autorités, les incitant à entreprendre des réformes plus globales et à revoir leurs politiques minières. Le collège de la société civile prévoit toujours d’adresser un mémorandum au nouveau Premier Ministre pour qu’il considère les résultats du diagnostic, mais cela n’a pas encore été réalisé.
Ainsi, la dissémination du diagnostic et du plan d’intervention a contribué aux efforts de l’ANLC pour relancer le processus de révision de la loi anticorruption adoptée en 2017. L’ANLC avait auparavant saisi le Conseil National de Transition (CNT) pour initier cette révision, mais celle-ci était restée en suspens. L’un des aspects clés de cette volonté de réviser la loi anticorruption actuelle vise notamment à résoudre une problématique cruciale soulignée dans le diagnostic : la capacité de l’ANLC à fonctionner de manière efficace et indépendante.
Plus spécifique au secteur minier, lors de la Journée internationale de lutte contre la corruption, l’ANLC a mené à Boké, centre de l'exploitation de la bauxite dans le pays, une campagne de sensibilisation sur les risques de corruption identifiés par le plan d’intervention.
« La révision de la loi anticorruption est cruciale pour renforcer notre cadre législatif et poursuivre les efforts des autorités actuelles pour que la lutte contre la corruption soit plus efficace et durable. Nous sommes déterminés à conduire ce travail législatif en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes. » - Alpha Abdoulaye Diallo (CNT)
D’autre part, certaines activités prévues dans le plan de travail et budget annuel 2024 de l’ITIE-Guinée répondent aux recommandations du plan d'intervention. Parmi les priorités figurent la modernisation du cadastre minier, l’amélioration de la transparence dans l'octroi de licences, l'évaluation des obligations légales, le suivi administratif, la formation des receveurs communautaires, l'analyse de la gestion des revenus, le renforcement des capacités du personnel des mines, et l'utilisation efficace des revenus des industries extractives.
Quels obstacles demeurent ?
Bien que les premières ébauches de mise en œuvre du plan d’intervention soient encourageantes, de nombreux obstacles demeurent :
- Le manque de capacité de suivi par la société civile : le collège des représentants de la société civile manque des moyens financiers et techniques nécessaires pour soutenir, suivre et évaluer les interventions identifiées.
- La restriction de l'espace médiatique : sous les récentes pressions politiques et réglementaires, la liberté d'expression et d'information s’est réduite. Cela limite le débat public et la diffusion d'informations critiques, diminuant par conséquent la pression pour la mise en œuvre des interventions recommandées.
- La sensibilité de la lutte contre la corruption : dans le contexte politique actuel, les risques que prennent les acteurs de la lutte contre la corruption pour leur sécurité, notamment ceux de la société civile, freinent considérablement leur engagement. L'absence de mesures de protection pour ces acteurs aggrave ces risques.
« Les organisations de la société civile font preuve de volontarisme dans la prévention, la détection et la lutte contre la corruption sous toutes ses formes. Elles se heurtent cependant au manque de soutiens adéquats d'ordre technique et financier en vue de mieux explorer et défricher les méandres de la corruption qui tend à s'institutionaliser en Guinée. » - Moussa Iboun Conté (collège des organisations de la société civile)
Au-delà de ces obstacles, la volonté politique et la capacité des acteurs institutionnels à mettre en œuvre les réformes identifiées restent fondamentales. En ce sens le gouvernement guinéen devrait reconnaître et soutenir les efforts remarquables de l'ANLC et d'EITI-Guinée en vue de la prochaine validation de l'EITI en 2025, et devrait donner la priorité à la révision de la loi anticorruption. Pour que les promesses de la bauxite se matérialisent pour les citoyens guinéens, dans le contexte actuel de la "course aux minerais de la transition", le Ministère des Mines et de la Géologie devrait assurer que l’octroi de nouvelles licences suive les meilleures pratiques, les compagnies minières devrait assurer que les nouveaux sites soient exploités de manière responsable, et les agences financières de l'État devraient collecter efficacement les revenus. Sur toutes ces questions la lutte contre la corruption est un enjeu primordial.
Authors
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Mohamed Cisse
Guinea Program Officer
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Matthieu Salomon
Lead, Anticorruption