Diagnostiquer la corruption dans le secteur de la bauxite en Guinée : Trois piliers pour un avenir plus transparent
La bauxite, un minerai stratégique essentiel dans la production d'aluminium, occupe une place centrale dans la fabrication des technologies nécessaires pour la transition énergétique. Selon l’International Aluminium Institute (IAI), la demande mondiale d'aluminium augmentera de près de 40 % d'ici 2030. En 2022, la Guinée se positionnait comme deuxième pays producteur mondial de bauxite derrière l’Australie – et premier pays exportateur de bauxite au monde, avec près de 103 millions de tonnes en production annuelle. Cependant, les revenus générés par le secteur minier ne semblent pas être à la hauteur du potentiel national.
De nombreux acteurs guinéens, de la société civile au décideurs politiques, ont régulièrement pointé du doigt le paradoxe du secteur minier, c’est-à-dire un pays riche en ressources dans son sous-sol, mais pauvre économiquement. Ils sont insatisfaits des revenus que le secteur extractif guinéen a générés jusqu'à présent. En 2020, la contribution du secteur minier au budget national est estimée à environ plus de plus de 500 millions de dollars, un chiffre « insultant » pour la Guinée selon l’actuel Premier Ministre de la junte militaire.
En effet, la gouvernance du secteur minier guinéen fait face à de nombreux défis, l’un des plus importants étant la corruption qui émaille la chaine de valeur de l’exploitation minière. La complexité et l’opacité qui entourent ce secteur rendent la lutte contre la corruption et l’amélioration de la transparence particulièrement ardues. Pour y remédier, Natural Resource Governance Institute (NRGI) a développé un outil de recherche et d’action qui vise à aider les groupes de la société civile, les agences gouvernementales, les organisations internationales, les entreprises privées, ainsi que les investisseurs, à identifier les formes de corruption les plus préoccupantes, à diagnostiquer leurs causes et à élaborer un plan d'intervention pour prévenir ces pratiques à l’avenir. Depuis sa première utilisation en Mongolie en 2021, l’outil a été déployé dans divers pays, dont la Colombie et les Philippines, ainsi qu’en Guinée où sa mise en œuvre s'inscrit dans une démarche de soutien et de renforcement des capacités des organisations de la société civile (OSC) guinéennes.
Les conclusions de ce rapport de diagnostic de corruption dans le secteur minier guinéen, piloté par les OSC guinéennes, révèlent des risques de corruption préoccupants auxquels a été assorti un plan d’intervention. Un tel diagnostic constitue une avancée significative dans le processus de s’attaquer aux risques de corruption dans le secteur de la bauxite en Guinée, cependant la mise en œuvre effective du plan d’intervention représente une autre étape tout aussi cruciale. Dès lors, il devient impératif d’assurer la continuité du processus pour atteindre un changement positif sur le long terme en ce qui concerne les risques de corruption identifiés. Selon nous, trois conditions sont nécessaires pour assurer la viabilité du processus en Guinée.
1. Renforcer la vigilance de la société civile dans la mise en œuvre du plan d'intervention, soutenu par l’agence nationale de lutte contre la corruption et du secrétariat exécutif de l’ITIE en Guinée
La particularité de cet outil de diagnostic réside surtout dans le fait qu'il favorise l'initiation d'actions concertées entre différentes parties prenantes pour prévenir dans les formes de corruption identifiées dans le futur. Toutefois, la mise en œuvre concrète d'un plan d'intervention ne se déroule souvent pas comme prévu en raison de la résistance au changement, qui est inévitablement susceptible de se présenter comme un obstacle. A cet égard, la lutte contre la corruption en Guinée doit s’inscrire dans une perspective à long terme qui nécessite à la fois un engagement de taille et une persévérance constante de toutes les parties prenantes. Dans cette lancée, les organisations de la société civile sont appelées à jouer de manière encore plus résolue un grand rôle à travers une surveillance accrue de la gouvernance du secteur.
Le plan d’intervention issu du diagnostic nécessite un suivi continu, avec une mise à jour périodique afin d’évaluer les progrès réalisés par rapport aux indicateurs identifiés. L’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC), et le secrétariat exécutif de l’ITIE, principales parties prenantes, ayant été consultées et associées à toutes les étapes clés du projet, devraient pouvoir, étant donné leur statut et influence, agir en tant que catalyseurs pour l'exécution des actions, le suivi et l’évaluation du progrès et l’identification d’ajustements nécessaires. L’ANLC devrait sensibiliser les agents publics et privés qui pourraient être tentés par les pratiques de corruption identifiées dans le diagnostic, tout en mettant en œuvre les actions définies dans le plan d’intervention. Cette démarche s’inscrit parfaitement avec sa mission primaire, qui consiste à mettre fin à la corruption par l'éducation, la prévention et la sensibilisation dans le secteur public et privé, tout en exerçant une pression dissuasive grâce à l'application rigoureuse de la loi. Le secrétariat exécutif, en tant que moteur principal du groupe multipartite de l’ITIE-Guinée, devrait également faciliter un engagement actif de cette entité dans la mise en œuvre concrète des actions prévues dans le plan d'intervention.
2. Promouvoir la transparence des agences gouvernementales grâce à l'action concertée des médias et des OSC
Encore une fois, un diagnostic réussi repose avant tout sur l'engagement actif des parties prenantes, conformément à l’approche multipartite de l’outil. Il est impératif d'impliquer tous les acteurs pertinents dans le processus, en assurant une communication ouverte et en recueillant leurs commentaires à chaque étape. Dans le contexte spécifique de la Guinée, les principaux acteurs concernés sont les agences gouvernementales, en raison de leurs responsabilités spécifiques dans le secteur. Cependant, leur mobilisation totale peut être difficile, notamment sur un sujet aussi sensible que la corruption. Dans un tel processus, tout doit débuter par un engagement, guidé par la conviction que l'amélioration de la gouvernance découle des actions de suivi des citoyens, qui doivent assumer leurs responsabilités de manière équitable. Pour ce faire, il est nécessaire d'accroître la sensibilisation, notamment par les médias, qui jouent un rôle crucial dans la promotion d’une responsabilisation transparente, en facilitant l'accès à l'information publique tout en contribuant à réduire la lourdeur administrative qui caractérise en général l’administration publique.
3. Renforcer systématiquement les compétences des acteurs de la société civile
Un atout majeur de l'exécution de ce projet en Guinée est qu’il intervient à un moment où les OSC guinéennes bénéficient d'une structuration optimale dans le cadre du processus ITIE. Leur synergie s'exprime au sein d'une unique coordination, qui a permis l'émergence du collège des représentants de la société civile au sein du Groupe Multipartite de l’ITIE.
Depuis 2021, NRGI soutient ces OSC en les aidant dans l'adoption de leur code de conduite et en appuyant le renouvellement de la coordination de la société civile au sein de l’instance décisionnelle de l’ITIE en Guinée. Cet engagement continu a amené NRGI à maintenir son soutien jusqu'à l’opérationnalisation effective de la nouvelle structure. Cette dernière a joué un rôle déterminant, pilotant le diagnostic en Guinée. L'implication d’un consultant externe dans ce projet a aussi permis de faciliter un transfert de compétences, qui mérite à présent d'être réutilisées pour les initiatives futures. Afin d'assumer progressivement cette responsabilité, la société civile concernée a besoin d’un soutien continu pour maintenir l'élan et l'enthousiasme à l'égard du processus. NRGI, conformément à ses objectifs, a apporté une contribution significative et s'engage à poursuivre son soutien technique. Mais c’est aussi le moment d'interpeller d'autres partenaires techniques et financiers, qui ont toujours soutenu la société civile guinéenne, tels que OSIWA, GIZ, Transparency International, la Fondation Hewlett et USAID. Ils ont un rôle essentiel à jouer pour accompagner cette dynamique qui permettra d’améliorer la transparence, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption dans le secteur extractif guinéen et de s’inscrire dans une perspective de post transition politique.
Ce diagnostic de corruption dans le secteur de la bauxite en Guinée ne se limite pas à la détection des problèmes actuels, il ouvre également la porte à un avenir plus prometteur pour l'industrie minière guinéenne. En reconnaissant et en remédiant aux problèmes de corruption, la Guinée peut exploiter pleinement le potentiel de ses ressources minérales, favorisant ainsi la croissance économique et la transition vers une gouvernance plus transparente et responsable. En continuant sur cette voie et en maintenant l'engagement de toutes les parties prenantes, la Guinée peut non seulement renforcer sa position en tant que leader mondial de l'industrie de la bauxite, mais aussi créer un environnement propice à un avenir prospère pour le secteur, contribuant ainsi au développement durable du pays.
NRGI a développé un outil innovant pour diagnostiquer et lutter contre la corruption dans le secteur extractif.
Authors
Mohamed Cisse
Guinea Program Officer
Matthieu Salomon
Lead, Anticorruption