Mobiliser une masse critique d’acteurs pour une transition énergétique juste et inclusive en Afrique
Face aux impacts liés aux changements climatiques, les pays Africains riches en ressources naturelles se trouvent à un carrefour décisif. Leurs gouvernements doivent prendre des décisions économiques et écologiques critiques qui, auront un impact direct sur l’avenir des populations africaines.
La quasi-majorité de ces pays comptent sur les ressources naturelles pour soutenir leur développement économique et social. Cependant, bien que ne contribuant qu’à hauteur de 4 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, l'Afrique reste le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique. Il est donc impératif que ces pays opèrent une transition énergétique qui assure un équilibre entre leurs aspirations en matière de développement durable et la préservation de l'environnement.
Afin de saisir les opportunités que présente la transition énergétique et gérer les risques associés, les pays africains riches en ressource naturelles, et en particulier en minerais de transition, doivent élaborer des politiques économiques adaptées et implémenter une gouvernance transparente et inclusive du secteur extractif. Cette gouvernance doit désormais intégrer les exigences de la transition énergétique.
En marge de la douzième session de l’université d’été sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone, qui s’est tenue au Cameroun du 17-28 juillet 2023, j’ai animé une conférence internationale sur le thème « Transition énergétique en Afrique : Opportunités et défis de la mobilisation des ressources intérieures ». Accompagné d’un panel composé d’experts africains et européens, nous avons eu des échanges stimulants avec les participants à la conférence sur les enjeux et défis liés à la mobilisation des ressources intérieures en Afrique dans le contexte de transition énergétique. Il était question d’identifier les politiques et pratiques que les gouvernements devraient adopter ou mettre en place afin que la transition énergétique puisse contribuer de manière significative aux recettes intérieures de l’Etat.
Une question importante a été soulevée sur l’interconnexion entre les changements climatiques, la transition énergétique et le secteur extractif. Un des panelistes, Eric Bisil, chercheur associé à l’Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED), a souligné que le discours récurrent autour de la transition énergétique est l’une des réponses à l’appel des gouvernements du monde à une intensification rapide du déploiement de sources à énergie à faibles émissions afin de préserver notre planète. Il renchérit en soulignant que, bien que le secteur extractif joue un rôle important en fournissant les minerais stratégiques nécessaires pour cette transition, tels que le cobalt, le coltan, le lithium et le cuivre, il est important d’attirer l’attention du public sur les conséquences de ce boom sur l’environnement si des changements substantiels ne sont pas faits à chaque étape de la chaine de valeur de l’exploitation minière.
Comment l’Afrique peut-elle tirer profit des opportunités liées à la transition énergétique tout en contribuant à la protection l’environnement ?
Sur ce sujet, William Davis, analyste économique senior à NRGI a indiqué qu’il est possible pour les pays africains riches en minerais d’accroitre leurs capacités à mobiliser les ressources intérieures dans un contexte de transition énergétique. A cet effet, il recommande, entre autres, d’adapter les régimes fiscaux pour faire face à la volatilité des prix de certains minerais de transition. De plus, il a plaidé en faveur du développement de nouvelles industries pour diversifier la base fiscale et a souligné la nécessité de maximiser les possibilités pour que le secteur pétrolier et gazier reste une source de revenus au lieu d’entrainer des pertes en raison d’investissements risqués que les compagnies pétrolières et gazières nationales pourraient être tentées faire.
Avec Roger Vutsoro, directeur pays de NRGI en République Démocratique du Congo (RDC), nous avons explorer le cas de la RDC, qui entends tirer pleinement profit du boom minier annoncé afin de briser avec la « malédiction des matières premières ». Pour y parvenir, le gouvernement congolais a renforcé son cadre légal en désignant trois minerais de transition (cobalt, germanium et coltan) comme « substance minérales stratégiques », portant ainsi leurs redevances minières de 3,5 % à 10 % afin de maximiser les revenus. Sur le plan infrastructurel, le pays s’est doté d’un plan directeur d’industrialisation en 2021 visant à établir des usines de transformation du cuivre pour la fabrication des câbles électriques dans les villes de Kinshasa et Lubumbashi. Le gouvernement a également lancé un projet de fabrication des précurseurs des batteries et véhicules électriques, dont les études de faisabilité étaient attendus en août 2023. Si l’expert reconnait les initiatives gouvernementales entreprises à ce jour, il a recommandé au gouvernement de transformer localement ses minerais de transition afin de capter le maximum d’avantages liés à tous les maillons de la chaine de valeur de ces minerais de transition. Il a également encouragé le développement du contenu local et l’investissement dans la formation professionnelle de la main d’œuvre locale.
La bonne gouvernance est un impératif pour une transition énergétique réussie qui profitera aux citoyens africains
Daouda Diene, analyste économique pour l’Afrique à NRGI, a soutenu que la bonne gouvernance doit être au cœur de la transition énergétique si l’Afrique veut tirer profit de la transition. Selon lui, la corruption pourrait menacer la résilience des chaines d’approvisionnement en minerais de transition, mettant ainsi en danger les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique. Il n’a pas manqué de souligner que la transition énergétique repose sur l’approvisionnement des minerais qui proviennent majoritairement des pays où la corruption reste un défi majeur. Invitant les entreprises, gouvernements et la communauté climatique à prendre des mesures décisives pour lutter contre la corruption, il a recommandé de :
- Agir de toute urgence – en mois et non en années – pour mettre en œuvre les mesures plus strictes de prévention et de lutte contre la corruption. ;
- Empêcher les élites politiques de saisir des opportunités injustes et ;
- Soutenir les droits et les activités de la société civile, des médias et d’autres acteurs engagés dans la lutte contre la corruption.
La particularité de cette conférence internationale est qu’elle s’aligne à la volonté de la nouvelle norme ITIE 2023 qui vise, entre autres, à soutenir la divulgation et le débat public sur les impacts de la transition énergétique dans ses pays membres.
L’avenir du continent africain repose en partie sur sa capacité à transformer les défis en opportunités, en particulier dans le contexte de la transition énergétique. Une mobilisation sans précédent est essentielle pour maximiser les avantages et soutenir un développement durable, tout en limitant les conséquences sociales et environnementales. Les recommandations d'experts, tels que ceux ayant intervenus dans le cadre de la conférence, en faveur de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption sont cruciales pour une mobilisation des ressources intérieures efficace et efficiente qui contribuera à l’amélioration des conditions de vie des citoyens africains.
Authors
Lucain Nyassi Tchakounte
Capacity Development Officer