Que nous apprend le Rapport ITIE 2018 de la Guinée sur la gouvernance minière aujourd’hui?
En attendant la publication dans quelques mois de l’indice 2021 de gouvernance des ressources (RGI) pour la Guinée, que nous apprend le tout dernier rapport de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE) sur la gouvernance minière dans le pays ?
Tout d’abord, avec 4 903 milliards de GNF (env. 544 millions d’USD), la Guinée a enregistré en 2018 une augmentation de 7,8% de ses revenus miniers par rapport à l’année précédente, d’après ce rapport ITIE publié fin 2020 et qui porte sur l’année 2018. L’augmentation modérée (comparée à 2017) des revenus miniers en Guinée en 2018 semble due à un double recul de l’impôt sur les sociétés (-8.4%) qui contribue pour près d’un tiers aux revenus miniers et des droits de douane (-28%), qui a fait passer presque inaperçue l’explosion (+55%) des taxes à l’extraction et à l’exportation :
Recettes minières 2017-2018 de la Guinée par flux de revenus (en milliards de GNF)
L’évolution de l’impôt sur les sociétés (nous y incluons la TSPM-Taxe spéciale sur les produits miniers appliquée à la CBG-Compagnie des Bauxites de Guinée) semble due à la poursuite en 2018 des travaux d’extension de la CBG, premier contributeur historique à ce flux. Elle reflète aussi la retenue de 6,2 millions d’USD par CBG sur ses paiements à l’Etat pour se rembourser des sommes versées en 2016 à l’agence publique nationale d’aménagement des infrastructures minières (ANAIM). Le rapport explique ce mécanisme et révèle un reste à déduire de 11,4 millions d’USD à fin 2018. Les revenus miniers 2018 proviennent majoritairement de la bauxite (62%) dont les exportations ont grimpé de plus d’un quart à 62,3 millions de tonnes, et de l’or (Graphique 2). Première entreprise du secteur avec 56% des exportations, la Société Minière de Boké (SMB) est également en tête des paiements à l’Etat avec 25%, suivie de CBG (24%) et de la SAG-Société AngloGold Ashanti (15%).
Recettes minières de la Guinée en 2018 par collecteur, substance et type d’entreprise (en milliards de GNF)
Dans ce rapport, et pour la première fois, l’accord-cadre de 20 milliards d’USD signé en 2017 entre la Chine et la Guinée est présenté de manière détaillée et éclairante pour les citoyens. On y apprend que le Ministre des Mines et de la Géologie a fourni en 2020 à un collectif d’organisations de la société civile qui l’avait sollicité de nouvelles informations qui ont été complétées par le Ministère de l’économie et des finances. En 2018, la Guinée a tiré sur cette importante ligne de crédit deux emprunts de 829 et 186 millions d’EUR, auprès d’ICBC-Industrial and Commercial Bank of China, chacun de 19 ans dont 4 de différés, pour financer des infrastructures routières. Ces travaux, en cours de réalisation, concernent la voirie de Conakry et la route nationale N°1 Coyah-Dabola, et la Guinée remboursera sur la base des redevances minières relatives aux projets attribués aux entreprises chinoises CDM Henan, Chalco et SPIC (ex CPI). Le remboursement démarre bientôt, en 2022, dans un contexte encore marqué par la crise sanitaire et un prix de l’aluminium toujours à la baisse. Il serait donc prudent pour l’Etat et les parties prenantes de passer en revue les conditions de ces emprunts pour anticiper d’éventuelles difficultés. En tout état de cause, notons que les trois entreprises minières chinoises ont satisfait à la divulgation des informations sur la propriété réelle.
Plus largement au sujet de la propriété réelle, ce rapport montre un progrès. Sur vingt-trois entreprises concernées, neuf ont communiqué une information exhaustive contre deux en 2017, ce qui permet aux citoyens Guinéens de savoir qui en dernier ressort est responsable de l’exploitation de son patrimoine minier. Le gouvernement pourrait consolider ces efforts en finalisant la loi en projet et s’inspirer du Sénégal qui a publié son décret sur le registre des bénéficiaires effectifs en 2020. Renforcer la fiabilité de ces données sur la propriété réelle par une vérification systématique avant publication est également essentiel. Attaché à la promotion du contenu local, le gouvernement guinéen sera le premier à tirer profit de cette avancée qui, étendue aux sous-traitants miniers, lui permettra de mieux promouvoir l’accès des Guinéens aux opportunités de sous-traitance. Dans cette perspective, il est intéressant de noter que la Guinée intègre de plus en plus de sous-traitants dans le rapport ITIE avec 168 entreprises en 2018 contre 36 en 2017. Leurs paiements à l’Etat chutent toutefois de près de moitié à 581 milliards de GNF, reflétant l’évolution en 2018 des activités des sous-traitants de SMB Winning qui dominent ces paiements.
Les dépenses environnementales font leur entrée dans ce rapport avec un montant de 6 milliards de GNF déclaré par quatre entreprises sur vingt-cinq. Elles sont constituées principalement de redevances de défrichement versées au Fonds forestier national (95%), et des versements au titre de la réhabilitation de l’environnement. Une manière pour le gouvernement de faciliter les versements et les divulgations pour la réhabilitation de l’environnement serait de finaliser le texte d’application de l’article 144 du code minier qui institue ce fonds destiné à réhabiliter en continu et anticiper la clôture des projets. Enfin, le rapport contient des informations qui permettent aux citoyens guinéens de connaitre la réalité de la contribution des entreprises au développement local. Il fait état de 133 milliards GNF dépensés au niveau local en 2018 au titre de la redevance superficiaire, de la Contribution au Développement Local (CDL) et des paiements sociaux. Les paiements sociaux volontaires gérés de manière discrétionnaire par les entreprises représentent jusqu’à 60% de ces dépenses, et le rapport recommande, à raison, la mise en place de mécanismes de suivi pour maximiser leurs impacts sur les populations locales.
Enfin la publication s’accompagne pour la première fois d’un fichier de données dans un format lisible automatiquement (Excel) ; l’application de présentation dynamique des données que l’ITIE-Guinée a mis en chantier sur son site web promet une petite révolution en la matière.