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Les réalités de la gouvernance des communes minières : Perspectives de la Guinée et du Niger

J’ai échangé avec deux élus locaux, Messieurs Barry Kabine et Idrissa Soumana, à l’occasion de l’Université d’été sur la gouvernance des industries extractives organisée par le Centre d’excellence pour la gouvernance des industries extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF) de l’Université catholique d’Afrique centrale (UCAC) et Natural Resource Governance Institue (NRGI) du 29 juillet au 9 aout 2019 à Yaoundé (Cameroun). Ensemble, nous avons parcouru les problèmes que rencontrent leurs collectivités dans le cadre de l’exploitation des ressources minières sur leurs territoires et leurs efforts pour diversifier l’économie locale.

Barry Kabine est guinéen et Vice-Maire d’une commune minière, Fria, qui se trouve à 160 km de la capitale Conakry. Elle a une grande superficie et une population de 60 000 personnes. Il est membre de l’exécutif de la commune depuis un an.

Soumana Idrissa est le 1er adjoint au maire de la commune de Téra, une commune située à l’extrême ouest du Niger qui couvre une superficie de 2380 km2 avec une population de 89 000 habitants selon les projections de l’INS (Institut National de la Statistique). C’est une commune à vocation essentiellement agricole qui connait depuis quelques temps l’exploitation artisanale de l’or.

Christophe Tiyong : Pouvez-vous situer dans le temps l’exploitation de la mine dans votre commune ?

Barry Kabine : Pour ce qui concerne Fria, l’exploitation de l’or a commencé depuis les années 1950, avant l’indépendance. Les prospections ont commencé en 1956 et ont abouti à l’exploitation d’une mine de bauxite-alumine en 1960. L’exploitation a continué jusqu’en 2012 où il y a eu un arrêt jusqu’en 2018. Actuellement l’usine tourne et produit de l’alumine.

Soumana Idrissa

Soumana Idrissa : Jusqu’en 2012, le département de Téra couvrait les trois affluents du fleuve Niger. Avec la nouvelle configuration administrative, il a été divisé en trois : Gothèye, Téra et Bankilaré. L’exploitation minière est particulièrement évidente et ancienne dans les départements de Gothèye avec une usine d’exploitation de l’or dans le département de Gothèye. Pour ce qui est de la commune de Téra, c’est depuis deux décennies que nous assistons à une prolifération de sites spontanés d’extraction artisanale de l’or. Elle devient de plus en plus problématique pour la commune.

L’exploitation minière dans vos deux communes est donc ancienne, 20 à 60 ans. Peut-on en conclure que vous êtes à la tête de riches communes ?

B. K. : La commune de Fria n’est pas riche. La preuve c’est qu’il a suffi d’une mésentente entre les travailleurs et l’usine pour que l’usine soit fermée et que la ville tombe dans la dèche. Depuis son ouverture, les taxes que cette usine a versé à notre commune jusqu’à présent n’ont jamais atteint 1 milliards de francs guinéen (soit 64,7 millions de francs FCFA / 98 600 Euros). Ce n’est que maintenant avec les nouvelles lois minières que nous sommes en train d’avoir des ressources relativement importantes pour l’exploitation minière. C’est même la première fois.

S. I. : En ce qui concerne Téra, il faut dire que les communes de ma région ne reçoivent pas grand-chose. Le département voisin abrite une usine d’exploitation industrielle de l’or, ce qui nous permet de bénéficier de la redevance minière. Nous sommes arrivés dans l’exécutif de la mairie en 2012. Depuis lors, nous n’avons perçu la redevance minière que deux fois : moins de quatre millions de francs CFA la première fois puis environ quatre cent mille francs CFA. En sept ans, nous avons reçu environ quatre millions avec une répartition prescrite par la règlementation : 45% pour le budget d’investissement et 55% pour le fonctionnement de la commune. Imaginez ce que cela peut signifier dans le budget d’une commune urbaine d’environ 89 000 âmes. Qu’est-ce que cela signifie par rapport aux impacts que nous subissons ? Dans ma commune, les sites spontanés d’exploitation sont légions et ne génèrent pas de revenus directs. Les autorisations d’exploitation artisanales sont octroyées par la Direction régionale des mines de Tillabéri qui est seul habileté à collecter les impôts et taxes. C’est seulement en cas de problème qu’ils font appel à nous…

En dehors de l’or et de l’alumine, sur quelles autres ressources peuvent compter vos communes ?

B. K. : L’alumine est la ressource la plus importante car elle contribue par exemple pour deux milliards de francs guinéen au budget communal de Fria qui est d’environ trois milliards, soit 2/3 des ressources budgétaires. Mais elle n’est pas la seule. Il y a certains droits et taxes que nous percevons du marché de Fria, mais qui sont dérisoires. A vrai dire, tout cela est dépendant de la mine car ce n’est pas l’entreprise minière qui est venue trouver la ville. C’est l’entreprise minière qui a créé la ville. C’est donc pratiquement la seule activité principale de la ville. C’est vrai qu’il y a autour quatre districts où il y a des activités agro-sylvo pastorales, mais juste de subsistance pour les communautés. C’est d’ailleurs ce qui a motivé notre ambition pour aller à la commune. Je ne suis pas parti à la commune de Fria sur une liste d’un parti politique. Je suis un activiste de la société civile. Ayant compris que le développement forcément ne passe pas par cette mine, notre ONG s’est battue pour diversifier les activités sur Fria. En réalité, en plus qu’elle soit minière, les activités agro-sylvo pastorales y sont possibles. Elle a du potentiel et on s’est dit qu’il faudrait venir aux commandes pour voir si on peut renverser les tendances.

Barry Kabine (le deuxième à partir de la droite)

Heureusement les décisions sont en train de changer au niveau central par rapport au transfert des revenus miniers vers les collectivités. Nous voulons utiliser ces revenus miniers pour booster les autres secteurs de développement durable afin de changer les données à Fria, pour que la crise qui est arrivée à Fria ne nous arrive plus.

S. I. : Heureusement la mine n’est pas la seule ressource. Je disais tantôt que c’est une commune à vocation agro-pastorale. La commune à une grande potentialité agricole et pastorale. La commune tire ses ressources principalement d’un marché à bétail qui a une dimension internationale. Ce marché a été récemment structuré avec l’appui de l’UEMOA. C’est un marché vers lequel converge le bétail du Mali et du Burkina Faso ; et nous avons des acheteurs qui nous viennent depuis le Nigeria. On peut dire que l’oxygène de notre commune provient des recettes tirées de ce marché à bétail.

En dehors du marché à bétail, nous disposons aussi d’autres marchés structurés, d’une gare, d’un secteur maraichers prometteur autour du barrage. La commune tire des recettes de cette activité maraichère.

L’économie de Fria est-elle plus diversifiée aujourd’hui ?

B. K. : Pour le moment c’est encore la mine. Les outils pour diversifier, notamment l’incubateur que nous avons initié, n’ont pas encore produit leurs fruits. Nous avons des partenaires techniques et financiers qui sont restés à notre écoute et avec lesquelles nous sommes en train d’implémenter des voies et moyens pour mettre en valeur les nouveaux secteurs dont j’ai parlé plus haut.

Nous sommes en train de regrouper les techniciens et artisans que nous avons recensés en groupements d’intérêt économique que nous appuyons avec le concours des partenaires techniques et financiers. Il en est de même des agriculteurs et des maraichers que nous appuyons selon nos possibilités.

Avec la nouvelle donne du financement des collectivités, nous avons commencé à recevoir des fonds importants. Nous avons saisi cette opportunité pour inscrire dans notre budget de développement local un programme d’accompagnement des communautés pour que l’économie de la commune soit diversifiée et que l’on puisse voir enfin le bout du tunnel.

En dehors du problème de diversification de l’économie locale, avez-vous d’autres problèmes liés au fait d’être une commune minière ?

B. K. : Nous sommes encore dépendants de l’entreprise minière pour le traitement de l’eau de consommation ; nous sommes en train de chercher des solutions à cet autre problème. Nous avons aussi des problèmes pour la gestion des déchets qui jusqu’alors était assurée par l’entreprise qui s’est désengagée. Fria c’est une Cité où habite le personnel de l’entreprise minière et les autres habitants. Dans le contrat de l’entreprise, la gestion des ordures au niveau de la Cité lui incombe. La Cité constitue, en termes de superficie, la plus grande partie de notre commune. Elle constitue aussi la source la plus importante des ordures de la ville. Nous sommes en train de négocier avec l’usine un partenariat en vue de trouver des fonds nécessaires pour faire face à ce fléau.

L’exploitation minière à Fria a ses aspects positifs comme je l’ai indiqué. Elle est source de pollution. Avant elle était à environ cinq kilomètres des habitations. Aujourd’hui vous avez des habitations qui jouxtent la clôture de la compagnie minière. Les habitants souffrent donc beaucoup plus directement des rejets de poussières par l’usine. Dans le passé, l’entreprise avait un dispositif de captation des poussières d’alumine. Aujourd’hui ce dispositif ne fonctionne plus et on a l’impression que personne ne s’en préoccupe. La ville est recouverte de poussière. C’est un véritable problème de santé publique.

Il y a aussi une pollution liquide. Les eaux usées de l’usine contiennent toutes sortes de produits chimiques (soudes, toutes sortes d’acides, mazout, hydrocarbures, etc.) et se déversent dans le fleuve Konkouré. Les riverains vivent de ce fleuve sont affectés et il y a de moins en moins de poissons. Le barrage de retenu de ces eaux usées a atteint son niveau maximum. Il doit être rehaussé tous les vingt ans. Au lieu d’appeler les spécialistes, l’usine colmate elle-même les brèches mais ça ne tient pas.

Il faut également signaler tout l’impact social négatif. Nous avons en effet noté un niveau plus important de prostitution dans la ville à la suite à la réouverture de l’usine.

S. I. : Pour la commune de Téra, nous nous sommes confrontés à l’incivisme fiscal, les désordres caractéristiques des sites spontanés d’extraction artisanale non structurés…

L’incivisme fiscal de nos populations a conduit la mairie à adopter la pratique du budget participatif pour leur faire comprendre l’importance et la nécessité de payer la taxe municipale et la taxe de voirie.

La structuration des orpailleurs permettrai non seulement de mettre un peu d’ordre dans les exploitations, mais aussi de sécuriser pour la mairie un minimum de revenus liés directement ou indirectement à l’exploitation minière artisanale de l’or, par exemple par la taxe de marché.

Sur le plan environnemental, les effets du cyanure utilisé dans l’exploitation artisanale se font de plus en plus ressentir. Les trous laissés par les exploitants des sites spontanés deviennent des réservoirs d’eau que les animaux se hasardent souvent à boire. Nous avons eu plusieurs cas où les animaux sont morts à la suite de la consommation de ces eaux cyanurées.

Nous voyons aussi que l’exploitation artisanale se fait généralement sur nos aires de pâturage ou nos périmètres agricoles. Elle détruit tout et il n’y a aucun plan de réhabilitation. Si d’aventure on dit qu’il y a une « alerte » à proximité de ton champs, il faut te dire que tu n’as plus de champs. Quoique tu fasses, ils vont venir tout dévaster en creusant des trous partout… ils finissent leur travail et te laissent avec des crevasses. Personne n’a le droit de s’opposer parce que quand vous voulez parler, ils vous brandissent cette autorisation obtenue à la direction régionale. Le décor que laisse cette exploitation est vraiment pitoyable. Il faut ajouter aussi l’effet de la poussée démographique et des changements climatiques qui amenuisent les terres agricoles. Nous le vivons la mort dans l’âme.

Malgré ce tableau sombre, est-ce qu’il y a des perspectives ? On annonce par exemple des flux financiers importants vers les communes en Guinée. Qu’en pensez-vous ? Est-ce vous êtes prêts à les gérer ?

K. B. : J’avoue que la plupart des maires de Guinée ne sont pas prêts pour cela. Fort heureusement, l’administration centrale a trouvé un dispositif pour cadrer cela. Par exemple, chaque commune qui a reçu de l’argent a reçu un ingénieur-conseil pour ses investissements et un agent de développement local qui nous aide à élaborer des textes pour encadrer la gestion de ces flux importants que nous recevons. L’Etat organise aussi des formations tous les mois pour former les élus locaux et les équipes municipales à mener à bon port les différents investissements. Je pense qu’au bout d’une à deux années d’exercice, les gens seront formés pour pouvoir mieux gérer ces flux importants.

S. I. : Il se chuchote qu’il pourrait y avoir une nouvelle modification du Code minier après celle de 2017. Nous espérons voir intégrer une vision globale de l’exploitation minière qui va tenir compte l’exploitation artisanale ou semi-mécanique, en prenant en compte les impacts négatifs qui sont vécues par les populations des sites de ces exploitations et en impliquant les collectivités locales. Il ne suffit pas d’obtenir une autorisation de la direction régionale des mines pour venir tout faire sur le terrain, sans aucun suivi ou contrôle.

Dans la perspective de diversification de notre économie locale, nous sommes engagés depuis un certain temps dans un processus de renforcement de capacités de nos producteurs locaux en les formant, en les structurant et en les mettant en réseau afin qu’ils puissent mieux faire leur travail ; qu’ils puissent mieux produire. La réhabilitation des marchés journaliers et hebdomadaires, avec l’appui de la coopération suisse, s’inscrit aussi dans cette dynamique. En soutenant ainsi les populations par la structuration des producteurs, l’amélioration des conditions de production et de commercialisation des tomates exportées vers le Ghana voisin, du sésame, du gombo, du sorgho et du mil, nous escomptons disposer de sources de recettes hors mines toujours plus importantes.

B. K. : Je voudrais ajouter que cette approche qui consiste à diversifier l’économie locale est très importante. Chez nous à Fria, les gens, surtout les travailleurs, ont pris conscience qu’il faut produire. En tant qu’autorité communale, nous collaborons avec des partenaires comme le GEMDEV (Groupement d’intérêt scientifique pour l’Étude de la Mondialisation et du Développement) qui est intervenu à l’occasion de la crise due à la fermeture de l’entreprise minière à Fria, pour appuyer techniquement et financièrement les petits producteurs afin qu’ils produisent mieux, pour organiser d’autres réseaux capables d’apporter de la valeur ajoutée à la production locale grâce à la transformation de la tomate en purée par exemple. C’est dans cette perspective que nous avons initié le projet « Fria, Vision 2030 » et nous y travaillons.

L’une des niches pour Fria est le travail du cuir qui est déjà bien apprécié mais qui n’est pas suffisamment développé alors qu’il y a une demande nationale importante. Les gens partent s’approvisionner au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Ghana. Si nous organisons en réseaux les cordonniers de Fria qui sont par ailleurs très doués, et leur fournissons des équipements de meilleures technologies, ils peuvent répondre à cette demande nationale guinéenne. Il en est de même du secteur de la joaillerie. Nous sommes donc vraiment conscients qu’il faut diversifier l’économie dans notre localité pour qu’elle ne repose pas uniquement sur les revenus miniers, taxes, redevances et salaires. Nous souhaitons que d’ici 2030 la ville puisse continuer à fonctionner normalement même en cas d’arrêt de l’exploitation minière.

S. I. : Nous aussi nous comptons beaucoup sur la transformation des produits locaux. Nous avons lancé trois centres de transformation de produits locaux qui sont en phase pilote. Il s’agit de paysans organisés avec l’appui de partenaires pour des activités de transformation. La plus récente unité est constituée de femmes qui qui ont acquis les techniques nécessaires pour maitriser la chaine depuis la production jusqu’à la transformation en jus du moringa, plante très prisée chez nous et dans l’ensemble du sahel. Nous comptons beaucoup sur de tels projets pour booster l’économie dans notre collectivité et en même temps travailler à la sécurité alimentaire au Niger.

B. K. : Pour nous, sortir de la dépendance à la mine passe incontournable par le renforcement des capacités. Nous souhaitons tirer avantage des expériences d’autres collectivités minières et nous former. C’est en ce sens que je remercie de l’opportunité qui m’a été offerte de participer à l’Université d’été du CEGIEAF sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone qui est importante pour tout gestionnaire de commune minière. J’y ai beaucoup appris. Il y aussi lieu de promouvoir l’intercommunalité. Le problème de la dépendance et de la faiblesse des économies ne concerne pas seulement les communes minières.

Pour en savoir plus sur l’Université d’été en Afrique francophone, veuillez consulter la dernière édition du magazine La Voix des Participants ici. Pour postuler à la prochaine édition du cours, veuillez consulter ce lien.

Propos recueillis par Christophe Tiyong, associé de programme régional Afrique pour NRGI.