Stratégie gas-to-power du Sénégal: assurer une expansion optimale et durable du gaz
Messages clés
- Bien que le Sénégal puisse tirer profit de la production d’électricité à partir ses ressources gazières, les autorités devraient examiner attentivement l’envergure de ces ambitions et à leur compatibilité avec les plans d’énergie renouvelable du pays : il s’agit en effet d’un moment décisif pour les objectifs du gouvernement, tant en matière d’énergie que de développement durable.
- Les récents plans visant à développer une capacité de conversion du gaz en électricité de plus de 3 gigawatts (GW) d’ici 2050 pourraient rencontrer des obstacles. Le Sénégal pourrait ne pas être en mesure d’extraire suffisamment de gaz pour alimenter ses centrales électriques, et pourrait également avoir des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires (au moins 2,2 milliards de dollars américains) pour construire les infrastructures indispensables.
- Un mix énergétique plus équilibré, avec une plus grande part accordée aux énergies renouvelables en complément du gaz, offrirait au Sénégal une voie plus sûre, mais nécessiterait une stratégie cohérente à long terme, ainsi que le soutien international.
- Suite à sa participation à un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), le Sénégal a revu ses objectifs d’énergie renouvelable à la hausse, envisageant une capacité d’environ 1 GW à moyen terme (d’ici 2030). Pour aider le pays à atteindre ces objectifs, ses partenaires de développement doivent fournir à temps le soutien financier et technique promis.
- Cependant, si le Sénégal s’en tient exclusivement aux plans déjà publiés, le gaz représentera 75 % de la capacité installée à long terme. En l’absence d’un plan à long terme pour les énergies renouvelables, le pays risque de s’enliser dans une production d’électricité principalement axée sur le gaz, compromettant non seulement l’effet catalyseur escompté du JETP, mais empêchant aussi le gouvernement d’exploiter pleinement le potentiel solaire et éolien du pays.
- Une approche plus transparente et inclusive aidera le gouvernement sénégalais à affiner et à mettre en oeuvre ses plans énergétiques , à gérer les attentes des citoyens et à renforcer la confiance du public, mais aussi à accroître sa crédibilité auprès des investisseurs.
Le Sénégal a connu une évolution politique majeure avec les récentes élections et la transition pacifique du pouvoir. Certaines priorités restent néanmoins inchangées pour le gouvernement sénégalais et la population du Sénégal, notamment l’augmentation
de l’approvisionnement en énergie et sa disponibilité à des coûts abordables. Concrétiser ces objectifs est essentiel pour lutter contre la pauvreté énergétique persistante et stimuler le développement économique du pays.
Suite aux importantes découvertes de gaz et au développement continu de plusieurs projets gaziers, de nombreux Sénégalais sont aujourd’hui convaincus que l’exploitation domestique du gaz permettra de résoudre les problèmes énergétiques du pays. Même si le gaz a un rôle important à jouer et contribuera directement à la hausse de la production d’électricité, l’envergure des projets de conversion du gaz en électricité et leur interaction avec les plans relatifs aux énergies renouvelables auront des conséquences déterminantes sur la capacité du gouvernement à atteindre ses objectifs en matière d’énergie et de développement durable.
Le gouvernement risque de ne pas atteindre ses objectifs s’il (a) poursuit une expansion aussi importante de la capacité de conversion du gaz en électricité tel qu’envisagée dans les plans récents, et (b) sous-estime le rôle que pourraient jouer les énergies renouvelables dans le futur mix énergétique du pays.
Les plans nationaux les plus récents, publiés suite à une révision de politique énergétique
menée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en collaboration avec le gouvernement sénégalais, prévoient le développement d’une capacité de conversion du gaz en électricité de plus de 3 gigawatts (GW), via la conversion d’anciennes centrales thermiques et la construction de nouvelles installations. Cependant, le gouvernement pourrait rencontrer des difficultés à concrétiser ces ambitions. Les ressources en gaz pourraient se révéler insuffisantes, tout comme les financements nécessaires à la construction des infrastructures requises.
Même si nos projections indiquent que l’approvisionnement national actuellement envisagé par le gouvernement sera suffisant pour répondre à la demande attendue, il pourrait s’avérer moins abondant et plus lent à se matérialiser que prévu à plus long terme. Le projet Yakaar-Terangaest particulièrement critique pour l’avenir de l’approvisionnement en gaz. Pourtant, plusieurs facteurs alimentent aujourd’hui l’incertitude qui plane sur ce projet : le retrait de BP, l’évolution mondiale vers une transition énergétique, l’audit du secteur pétrolier promis par le nouveau gouvernement (susceptible de conduire à des renégociations de contrats), menacent tous les plans et le développement du projet Yakaar-Teranga.
En outre, L’État s’expose à un risque de manquer de fonds. Bien qu’il envisage d’augmenter les investissements publics dans des projets en amont tels que Yakaar-Teranga, nous estimons qu’il pourrait devoir mobiliser au moins 2,2 milliards de dollars supplémentaires pour construire les gazoducs et centrales électriques prévus dans ces projets. Cependant, les sources de financement disponibles pour les infrastructures de conversion de gaz en électricité se raréfient du fait des préoccupations climatiques mondiales et de la pression exercée sur les investisseurs financiers associés. La réduction des financements publics internationaux, qui permettent habituellement de minimiser les risques pour les investisseurs de capital privé, pose actuellement un problème particulièrement épineux.
Contrairement aux plans déjà élaborés pour le gaz, les plans sénégalais concernant les énergies renouvelables demeurent vagues. À l’issue de son récent Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), le Sénégal a revu à la hausse son objectif pour les énergies renouvelables, qui devront à présent représenter 40 % de la capacité installée d’ici 2030 (environ 1 GW). Pourtant, les plans actuels n’incluent aucune capacité supplémentaire à long terme pour les énergies renouvelables, en dépit de l’effet catalyseur que le JETP était censé exercer sur ce potentiel.
Si cela reste le cas et que seuls les plans contenus dans le document l’AIE sont concrétisés (et même si le Sénégal atteint l’objectif 40 % d’énergies renouvelables en 2030), le gaz dominera encore plus fortement le mix énergétique du pays à long terme.
Une plus grande place accordée aux énergies renouvelables, en complément du gaz, pourrait représenter une solution moins risquée pour atteindre les objectifs énergétiques du Sénégal, tout en offrant d’autres avantages, tels que l’utilisation d’une partie du gaz disponible à des usages autres que l’électricité. À l’heure actuelle, le gouvernement est encore en train de développer le plan d’investissement du JETP, ce qui explique peut-être pourquoi les plans relatifs aux énergies renouvelables restent flous. Il est aussi possible que le Sénégal craigne que les financements promis par le JETP ne se matérialisent pas.
À mesure que le gouvernement prend des décisions pour le secteur gazier, il est impératif de mener une analyse exhaustive des interactions entre gaz et énergies renouvelables, sans quoi le pays risque de s’enfermer dans une trajectoire qui l’obligerait à consommer d’importantes quantités de gaz sur le très long terme. Un délai supplémentaire pourrait compromettre l’effet catalyseur du JETP sur le développement des énergies renouvelables, privant ainsi le pays de profiter d’une source d’énergie plussûre et de coût moins élevé que le gaz.
Bien qu’elle soit plus équilibrée, cette approche nécessitera quand même une expansion considérable des capacités de conversion du gaz en électricité : les partenaires de développement du Sénégal devraient impérativement en tenir compte, et apporter le soutien financier et technique requis.
Dans tous les cas, le gouvernement sénégalais a tout intérêt à soigneusement planifier l’échelle de cette expansion : le gaz devrait être considéré comme un complément aux énergies renouvelables et, si possible, n’être utilisé que pour répondre aux « pics » de demande. À cette fin, le gouvernement devra non seulement faire des choix judicieux pour les technologies de ses centrales à gaz, mais aussi négocier adéquatement les prix du gaz et les contrats d’exploitation des centrales.
S’engager sur une voie qui privilégie davantage les énergies renouvelables n’est pas une démarche aisée : elle implique des coûts initiaux plus élevés et nécessite généralement des investissements pour remédier aux problèmes d’intermittence du réseau.
Selon nos estimations, les 346 MW de capacité supplémentaire en énergies renouvelables requis pour atteindre 999 MW en 2030 pourraient coûter jusqu’à 920 millions de dollars (ce calcul exclut les améliorations du réseau, les systèmes de flexibilité et la capacité de stockage d’énergie). Les partenaires internationaux du Sénégal doivent tenir leurs engagements à court terme, notamment en réduisant les coûts de financement encore trop élevés, et en acceptant d’investir dans des projets jugés risqués et difficiles à financer. À long terme, ils doivent également accroître leur contribution financière – il est grand temps que les pays riches honorent pleinement leurs engagements financiers en matière de lutte contre le changement climatique, une responsabilité qu’ils ont jusqu’à présent trop souvent ignorée.
Parallèlement, le gouvernement sénégalais doit créer un environnement plus favorable aux investissements dans la conversion du gaz en électricité et dans les énergies renouvelables. Il lui faut élaborer une stratégie énergétique à long terme apportant des réponses claires et crédibles à tous les acteurs concernés, y compris les investisseurs. Le gouvernement devrait aussi distribuer plus clairement les responsabilités entre les différentes institutions, et clarifier les processus et procédures à suivre pour prendre des décisions réglementaires clés.
Accroître le consensus et la confiance du public renforcera la crédibilité de la planification à long terme, ainsi que la stabilité du cadre réglementaire. Étant donné les attentes élevées du public concernant l’impact transformateur des plans de conversion de gaz en électricité, une sensibilisation accrue du public aux différentes opportunités, risques et compromis pourrait modifier le discours dominant et les perceptions afin de permettre au niveau régime en place d’adapter la stratégie énergétique de manière appropriée. L’engagement du nouveau président envers une gouvernance transparente est prometteur à cet égard, ouvrant la voie à un gouvernement sénégalais plus apte à affiner et à mettre en oeuvre ses plans énergétiques avec davantage de transparence et de consultation que les régimes précédents.
Ces actions donneront au Sénégal de meilleures chances de réaliser l’avenir énergétique visé par la stratégie gouvernementale.
Authors
Papa Daouda Diene
Senior Africa Economic Analyst
Thomas Scurfield
Africa Senior Economic Analyst
Aaron Sayne
Lead, Domestic Energy Transition