La réduction des émissions de méthane dans le secteur des hydrocarbures du Sénégal : appel à une action proactive et transparente
Messages clés
- Les entreprises pétrolières et gazières doivent prendre d'urgence des mesures préventives pour réduire les futures émissions de méthane dans l'industrie pétrolière et gazière du Sénégal. Avec les projets d'expansion de l'extraction, ces émissions pourraient affecter le climat, la santé publique, l'environnement et la compétitivité des projets.
- Actuellement, le Sénégal émet de faibles niveaux de méthane, et il existe une volonté politique de les réduire. Cependant, le gouvernement doit clairement définir ses ambitions dans les documents stratégiques nationaux tels que la Contribution Déterminée au niveau National (CDN), la Lettre de Politique Sectorielle de Développement du Secteur de l'Energie (LPSDSE), et la stratégie de développement à faible émission à long terme en cours de développement.
- Une plus grande transparence et la divulgation de données désagrégées sont nécessaires pour renforcer la confiance des parties prenantes locales et améliorer l'évaluation des mesures de réduction des émissions. L'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), avec sa structure multipartite et sa nouvelle norme 2023, peut aider le gouvernement et les entreprises à améliorer la transparence dans le rapport des émissions de méthane.
- Alors que les autorités sénégalaises préparent le décret d'application du nouveau code de l'environnement, le gouvernement doit renforcer les réglementations avec des obligations de transparence et de responsabilité, en exigeant par exemple que les entreprises partagent leurs méthodologies pour améliorer la précision des données pour les décideurs publics. Le gouvernement doit également clarifier ce qui constitue des « situations d'urgence », telles que le torchage autorisé.
- Le Sénégal doit faire progresser son système MRV (mesurage, rapport et vérification), et implémenter des audits indépendants et des méthodes d'estimation standardisées pour obtenir des données fiables. Bien que le MRV soit crucial à long terme, un système pratique à court terme est nécessaire pour suivre les progrès sans freiner l'action. De plus, le gouvernement devrait renforcer les compétences techniques de ses équipes pour réduire efficacement les émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier.
- PETROSEN devrait gérer les émissions de manière proactive pour renforcer sa position mondiale et répondre aux attentes croissantes en matière de performance environnementale. À court terme, elle devrait signer la Charte de Décarbonisation Pétrolière et Gazière pour démontrer un engagement plus fort envers les émissions de méthane.
- Les acteurs de la société civile et les journalistes devraient être mieux informés et impliqués dans la gestion des émissions de méthane. Leur participation active peut renforcer la transparence, rendre les entreprises plus responsables et sensibiliser le public aux impacts environnementaux et sanitaires des émissions de méthane.
Introduction
Certains polluants, dont le méthane, contribuent directement et simultanément à la pollution atmosphérique et au changement climatique. Selon le rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) intitulé « Évaluation intégrée de la pollution de l’air et des changements climatiques pour le développement durable », un million de personnes meurent prématurément chaque année sur le continent africain en raison de la pollution de l'air intérieur et extérieur. Le méthane, un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans, a contribué à environ 30 % de l’augmentation des températures mondiales depuis la Révolution industrielle. Pour faire face à cette problématique, la communauté internationale a fait de la réduction de méthane une priorité majeure dans la lutte contre le changement climatique.
Le secteur de l'énergie – y compris le pétrole, le gaz, le charbon et la bioénergie – est responsables de près d’un tiers des émissions de méthane d’origine humaine. Les compagnies pétrolières et gazières émettent du méthane, le principal composant du gaz, dans l'air en évacuant ou en brûlant l'excès ou le gaz indésirable, ou en permettant qu'il s'échappe des pipelines, des installations de gaz naturel liquéfié (GNL) ou d'autres infrastructures. Les opérations pétrolières et gazières contribuent à environ 23 % des émissions totales de méthane provenant des activités humaines dans le monde et représentent également une part importante des émissions totales de l'Afrique. Ce qui en fait une cible de réduction d'émissions particulièrement importante. De plus, avec plus d'options de réduction peu coûteuses comparées à celle de l'agriculture et aux déchets, la lutte contre les émissions de méthane provenant de l'exploitation des combustibles fossiles représente l'une des meilleures opportunités à court terme pour limiter les effets les plus graves du changement climatique. Selon le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), spour éviter les pires effets du changement climatique, il est impératif de réduire les émissions de méthane provenant de l'industrie des énergies fossiles.
Devenu producteur de pétrole en juin 2024, le Sénégal aspire à exploiter ses réserves d’hydrocarbures pour dynamiser son économie et réduire sa pauvreté énergétique. En tant que nouveau producteur, le Sénégal doit adopter une gestion proactive des émissions de méthane associées à la production d’hydrocarbures. Comme souligné dans un récent briefing de NRGI, les parties prenantes sénégalaises devraient accorder une plus grande attention à la réduction des émissions de méthane dans les opérations pétrolières et gazières pour plusieurs raisons, notamment :
- Compétitivité des projets pétroliers et gaziers. La pression exercée par les gouvernements, les investisseurs et les clients pour réduire les émissions des opérations pétrolières et gazières est croissante. À partir de janvier 2027, les normes de réduction des émissions de méthane s'appliqueront également aux pays producteurs. Les projets à forte émission risquent de recevoir moins d’investissements, augmentant ainsi le risque de voir ces blocs perdre en compétitivité et/ou devenir des actifs échoués. En juillet 2023, le Japon et la Corée ont lancé le partenariat CLEAN pour la réduction des émissions de GNL vers la neutralité carbone. Ces deux grands acheteurs de GNL, qui privilégiaient auparavant la sécurité de l'approvisionnement, exigent désormais de leurs fournisseurs une réduction quasi nulle des émissions de méthane et l'utilisation des derniers protocoles MRV pour le reporting.
- Accès à l’énergie. Les investisseurs sont de plus en plus préoccupés par la réduction des émissions dans leurs portefeuilles, ce qui complique le financement des infrastructures gas-to-power au Sénégal. Pour attirer les investissements nécessaires à l’expansion énergétique, le pays gagnerait à minimiser ses émissions et continuer à démontrer un engagement clair envers des pratiques durables.
- Accès au financement international. La lutte contre les émissions de méthane basée sur des mesures rigoureuses et transparentes pourrait renforcer la crédibilité internationale du Sénégal, et renforcer sa voix lors des négociations internationales. De plus, le FMI a été invité à exiger, plutôt qu'à encourager, les pays producteurs de pétrole et de gaz à imposer des pénalités aux émetteurs de méthane comme condition d'accès aux prêts de la facilité de Résilience et de durabilité (RSF).
- Avantages économiques perdus. La réduction du méthane pourrait augmenter la production de gaz en Afrique subsaharienne de 14 %. À titre d’illustration, au Nigeria, le gaz torché a dépassé la quantité de gaz fournie au marché domestique pendant une grande partie des deux dernières décennies et a coûté environ 1 milliard de dollars par an en revenus perdus. En capturant le gaz brûlé, les fuites et les rejets, le Sénégal pourrait augmenter ses revenus et optimiser l'utilisation de ses ressources.
- Impact local sur la santé et l’environnement. Les émissions de méthane peuvent affecter la santé et l’environnement des communautés proches des sites d’extraction. Au Sénégal, bien que les champs soient éloignés des côtes, le gouvernement, la société civile et les universitaires doivent surveiller et évaluer l’impact sur l’environnement et la pêche, un secteur vital pour de nombreuses communautés locales, afin de protéger leurs moyens de subsistance.
- Impact sur le changement climatique. Bien que le Sénégal ne soit pas le principal responsable de la crise climatique, le pays est particulièrement vulnérable à ses impacts. Chaque tonne de gaz à effet de serre supplémentaire aggrave la situation, rendant indispensable la réduction des émissions pour protéger le pays et ses citoyens tout en contribuant à l'effort global de lutte contre le changement climatique.
Ces dernières années, le Sénégal a continué à réviser son orientation énergétique en adoptant de nouveaux plans et législations visant à garantir un accès universel à l’énergie et à soutenir ses objectifs de développement. Cela représente une opportunité majeure pour intégrer cette composante essentielle dans la gouvernance du secteur pétrolier et gazier dans le processus de planification et de prise de décision. Un débat public robuste et éclairé sur cette question est indispensable pour soutenir le processus de planification stratégique et les réformes en cours, en tenant compte de toutes les préoccupations nationales.
Avec ce briefing, nous visons à éclairer le débat public en dressant un tableau de la gestion des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier au Sénégal. Nous mettons l'accent sur la documentation des efforts actuels de réduction des émissions de méthane, le profil actuel des émissions, les défis majeurs et l'identification de pistes de solutions.
Paysage actuel des émissions de méthane au Sénégal
Le Sénégal d’aujourd’hui, comme la plupart des pays africains, est un faible émetteur de méthane et devrait donc bénéficier d'une priorité dans la répartition du budget carbone mondial. Bien que les sources de données en ligne sur les émissions de méthane soient rares et présentent divers défis de fiabilité, le Sénégal émet très peu de méthane. En effet, en 2023, les émissions annuelles de méthane du Sénégal s'élevaient à 390 kt, représentant seulement 0,1% du total mondial des émissions de méthane. Les principales sources d'émissions de méthane au Sénégal sont les secteurs de l’agriculture, des déchets et de l’énergie. Les émissions de méthane provenant du secteur de l’énergie ne représentent que 3 % des émissions de méthane du Sénégal. Et même là, l’essentiel des émissions de méthane du secteur énergétique proviennent de la bioénergie, qui représentent 92 % des émissions de méthane du secteur énergie en 2023.
Les émissions méthane du secteur pétrole et gaz sont donc faibles et se répartissent comme suit en 2023 :
Tableau 1 : Emissions de méthane en 2023 par type et source au Sénégal
Type | Total des émissions de méthane (kt) | Émissions fugitives de méthane (kt) | Émissions de méthane par dégazage contrôlé (kt) |
Gazoducs et installations de GNL | 0.05 | 0.02 | 0.03 |
Gaz onshore | 0.03 | 0.01 | 0.02 |
Pétrole onshore | 0.34 | 0.07 | 0.27 |
Autres (pétrole et gaz) | NA | NA | 0.75 |
Source : Base de données IEA Methane tracker, 2023.
Sources d'émissions de méthane dans l'extraction de pétrole et de gaz
Les émissions de méthane dans l'industrie pétrolière et gazière proviennent de plusieurs sources au niveau des installations :
Fuites des équipements : Les valves, compresseurs, pipelines et autres équipements peuvent présenter des fuites de méthane, souvent difficiles à détecter et à contrôler.
Brûlage à la torche (Torchage) : Le torchage consiste à brûler le gaz excédentaire pour éviter les risques d'explosion. Bien que nécessaire pour la sécurité, cette pratique produit des émissions importantes de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Ces impacts environnementaux en font une pratique controversée, soulignant le besoin d'alternatives plus responsables et durables.
Pertes par évaporation : Pendant le stockage et le transport, le méthane peut s'évaporer des réservoirs et autres contenants, contribuant ainsi aux émissions globales.
Rejets accidentels et pannes des équipements : Les défaillances techniques et les accidents peuvent entraîner des rejets importants de méthane dans l'atmosphère.
Dégazage : Cette pratique consiste à libérer le gaz associé directement dans l'atmosphère sans le brûler. Le dégazage est particulièrement problématique car le méthane non brûlé a un potentiel de réchauffement global 25 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de 100 ans.
Ces différentes sources d'émissions de méthane mettent en évidence les défis environnementaux auxquels fait face l'industrie pétrolière et gazière et la nécessité de mettre en œuvre des pratiques plus durables et efficaces pour minimiser l'impact climatique.
Le pétrole onshore et les autres sources de pétrole et de gaz sont les principaux contributeurs aux émissions de méthane par dégagement contrôlé, tandis que les gazoducs et installations de GNL, ainsi que le gaz onshore, ont des émissions totales de méthane plus faibles. Bien que les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ne précisent pas clairement la source de ces émissions, il est possible que cela concerne la Société Africaine de Raffinage (SAR), une filiale de PETROSEN qui transforme le pétrole brut en produits raffinés. Si tel est le cas, la SAR sera instrumental dans l’amélioration de la surveillance des émissions de méthane et la mise en place des mesures de réduction des émissions.
Les opérations pétrolières au Sénégal sont en rapide expansion, avec plusieurs projets en cours ou planifiés. L'extraction du premier baril de pétrole suscite un enthousiasme légitime des acteurs. Le pays compte sur ses réserves d’hydrocarbures pour générer des revenus significatifs et soutenir ses objectifs de développement, il aspire à réduire sa dépendance aux importations de carburant et à atténuer les émissions de gaz à effet de serre en substituant le fioul lourd par le gaz pour la production d'électricité.
Cependant, cette transition vers le statut de producteur suscite également des préoccupations concernant l'augmentation des émissions, tant directes qu’indirectes. L'expérience internationale montre que de nombreux producteurs ont vu leurs émissions de méthane augmenter considérablement au cours des premières années d'exploitation du pétrole et du gaz. Un exemple particulièrement documenté en Afrique est celui du Nigéria, où les émissions de méthane ont augmenté de 3,8 fois au cours des dix premières années suivant le démarrage de la production en 1957, par rapport à la décennie précédente, qui avait déjà enregistré une augmentation de 2,6 fois. Pendant une grande partie des deux dernières décennies, le gaz torché au Nigeria seul a dépassé l'approvisionnement en gaz sur le marché intérieur, entraînant une perte de revenus environ 1 milliard de dollars par an par le gouvernement, bien que cette situation se soit améliorée récemment. Le Nigeria a souffert d'un déficit de réglementation au démarrage de sa production, de contrôles inefficaces des pratiques des entreprises pétrolières et gazières. De nombreux autres pays, ont également vu leurs émissions nationales de méthane augmenter de manière significative dès le début de la production. Dans le cas de la Guinée équatoriale, cette augmentation a été de 14 fois au cours des dix premières années, par rapport à une augmentation de six fois au cours des dix années précédentes. Effectivement, les émissions de ces pays restent globalement faibles, mais ils sont passés à côté de l’opportunité de rendre leurs pétroles et leur gaz plus propres avec tous les bénéfices associés. En parallèle, des pays ont été suffisamment proactifs pour développer des projets visant à atteindre des émissions nettes nulles de méthane. La Norvège prouve aujourd’hui qu'il est possible de mettre en œuvre des projets avec des opérations sans émissions nettes de méthane.
Figure 1 : Émissions totales de méthane et intensité de la production de méthane dans les opérations pétrolières et gazières chez certains producteurs de pétrole et de gaz en 2022
Au Sénégal, des études d’impact environnemental et social des projets pétroliers et gaziers menés par BP et de Woodside offrent une estimation des émissions futures prévues par les compagnies, et donnent un aperçu des efforts déclarés pour promouvoir une exploitation moderne et respectueuse de l'environnement. Pour la première phase du projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), si toutes les mesures annoncées dans l’étude d’impact environnemental et social sont mises en œuvre correctement, BP s’attendrait à des émissions de méthane de 1 092 tonnes par an.
Tableau 2 : Matrice d’identification des émissions de méthane (CH-4) de la phase 1 du projet GTA
Sources d’émissions de méthane au niveau des sites du projet GTA (T/an) | |||||||
Chaines d’activités du projet | Installation des équipements et du pipeline sous-marin | Construction et installation du terminal du hub GNL près des côtes | FNLG | Activités de raccordement et de la mise en service du FPSO | Torchage au démarrage | Total d’émission par phase | Références |
Phase de forage | 4,77 | 11,4 | 1,8 | 17,97 | V1-EIES -GTA-P.2-37 | ||
Phase des opérations | 44 | 38 | 30 | 959 | 1072 | V1-EIES -GTA-P.2-38 | |
Phase de fermeture projetée | 0,54 | 1,52 | 0,18 | 2,24 | V4-EIES-GTA-P. 201 | ||
Total d’émissions de CH-4 |
1092,21 |
Source : Étude d'impact environnemental et social du projet GTA, Volume 1 et Volume 4
Ce profil met en évidence que la phase des opérations est la principale source d'émissions de méthane, principalement en raison des activités étendues liées à la construction et à l'exploitation du terminal hub GNL, ainsi que des installations associées. La phase de forage contribue également de manière significative, bien que dans une moindre mesure par rapport aux opérations. Des mesures visant à atténuer les émissions de méthane de la part de BP et du gouvernement seraient cruciales, notamment pendant les phases opérationnelles, afin de minimiser l'impact environnemental.
Concernant Sangomar, Woodside nous informe que les émissions de méthane atteindront un pic de 7,2 kT pendant la phase de mise en service, suivi d'un niveau stable d'émissions de méthane à 4,3 kT CH4/an. Cela correspond respectivement à 55 % et 33 % de l'estimation actuelle des émissions annuelles de méthane du secteur énergie sénégalais (considérant les données de l’IEA de 2023). Les principales sources d'émissions de méthane attendues de l'installation sont la combustion à la torche (fuite de méthane), le dégazage des réservoirs de cargaison et les émissions fugitives du processus.
Tableau 3 : Émissions de méthane de la phase 1 du projet Sangomar, études d’impact environnemental et social
Activités | Source d’émission | Quantité d’émission estimée (t) | |
CH-4 | Références | ||
Phase de forage | Volumes de torchage estimés durant les activités de forage et de complétion | 144 | EIES-Woodside/P.349 |
Totale d’émissions atmosphériques associées aux activités de forage | 9 | EIES-Woodside/P.350 | |
Phase d’installation et mise en service | Volumes de torchage estimés pendant les activités de mise en service | 3 955 | EIES-Woodside/P.351 |
Totale d’émissions atmosphériques associées à l'utilisation des navires pendant l'installation et la mise en service | 7 | EIES-Woodside/P.352 | |
Rejets estimés des citernes à cargaison | 3 236 | EIES-Woodside/P.352 | |
Phase d’opérations de production et de FPSO | Total d’émissions atmosphériques associées au torchage pendant les opérations | 876 | EIES-Woodside/P.354 |
Estimation des émissions atmosphériques associées à la consommation de carburant pendant les opérations | 74 | EIES-Woodside/P.354 | |
Estimation des émissions atmosphériques associées au transport pendant les opérations | 1 | EIES-Woodside/P.355 | |
Estimation des pertes fugitives de stockage à toit fixe provenant des citernes à cargaison de la FPSO | 86 | EIES-Woodside/P.355 | |
Ventilations estimées des citernes à cargaison | 3 236 | EIES-Woodside/P.356 |
Source : Étude d'impact environnemental et social du projet Sangomar
Ce profil met en évidence que la première phase du projet Sangomar génère principalement des émissions de méthane lors de ses phases opérationnelles, notamment à travers des contributions significatives provenant du torchage, de la consommation de carburant et des activités de ventilation associées aux opérations de production et aux activités du FPSO. Pour atténuer l'impact environnemental du projet, le gouvernement sénégalais et Woodside doivent gérer et réduire ces émissions.
Les ministères en charge du Pétrole et de l’Environnement sont actuellement en train de finaliser l’évaluation environnementale stratégique du secteur pétrolier et gazier, devrait pouvoir contribuer à une meilleure estimation des émissions de méthane de ce secteur et à la mise en place des stratégies et des politiques d'atténuation efficaces. En réalité, cet exercice intègre une modélisation des émissions.
Dans l’industrie pétrolière et gazière, il est généralement bien documenté que le risque de sous-estimation des émissions de méthane constitue une préoccupation réelle, en plus de la sous-estimation persistante dans le reporting des émissions. Des études et des rapports indiquent que ce phénomène est avéré, au regard des expériences de certains pays. Cette disparité entre les émissions prévues et les émissions réelles souligne la nécessité d'une surveillance rigoureuse et de mesures efficaces pour garantir une gestion adéquate des émissions de méthane.
Les premières phases des projets actuels de GTA et Sangomarsont actuellement les seules installations opérationnelles au Sénégal. Le projet Yakaar-Teranga, entièrement situé dans les eaux sénégalaises avec des réserves de taille comparable au projet GTA, est en attente d'une décision finale d'investissement. Son exploitation entraînera très probablement une augmentation significative des émissions de méthane en raison des plans de conversion du gaz en électricité, des pipelines et des installations, entre autres. Le Sénégal intègre dans sa planification énergétique les phases futures de GTA et Sangomar. La décision finale d'investissement pour la deuxième phase de GTA, initialement prévue en 2022, a été repoussée en raison de retards et de changements de structure. Le gouvernement vise maintenant 2025 pour cette approbation, bien que Rystad Energy estime qu'elle pourrait être retardée jusqu'en 2026. Selon Rystad, la décision finale d'investissement pour la troisième phase pourrait même être reportée jusqu'en 2032. Pour Sangomar, l'exploitation du gaz est prévue lors de la deuxième phase, pour laquelle la décision finale d'investissement n'a pas encore été prise. En outre, d'autres projets gaziers pourraient émerger au Sénégal, bien que l’appel d’offres d’attribution de licences de 2020 n'ait pas été fructueuse. Compte tenu de ces développements à venir, il est essentiel que Le gouvernement, PETROSEN et opérateurs doiventrigoureusement prennent en compte les technologies de réduction des émissions dans les projets Yakaar-Teranga, ainsi que dans les futures phases de GTA et de Sangomar, avant d'atteindre la décision finale d'investissement. Cela contribuera à maintenir le Sénégal dans le cercle des pays à faibles émissions, mais aussi à accroître la compétitivité de ses projets pétroliers et gaziers.
Avec l'expansion imminente du secteur énergétique sénégalais, notamment l'introduction de nouveaux projets gaziers, les autorités sénégalaises doit prendre des mesures préventives pour minimiser l'impact environnemental.
D’ailleurs, une enquête d’opinion publique sur le méthane menée par Global Méthane Hub (GMH) met en lumière le besoin urgent de sensibilisation et d'action concernant les émissions de méthane, notamment au Sénégal, où la familiarité avec le méthane reste faible.
Cela nécessitera une forte volonté politique et la mise en œuvre de réglementations strictes pour garantir une prise en compte efficace des mécanismes de réduction des émissions par les opérateurs.
Engagement et actions du Sénégal pour réduire les émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier : avancées et prochaines étapes
Contrairement à plusieurs pays tels que le Nigeria et le Ghana qui ont explicitement intégré des objectifs de réduction des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier dans des politiques nationales spécifiques, les ambitions du Sénégal dans ce sens ne sont pas encore explicitement exprimées dans un document de planification stratégique. Ni la CDN, ni la précédente lettre de politique de développement du secteur de l'énergie (LPDSE), ni d'autres documents consultés ne mentionnent explicitement des objectifs de réduction des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier. Heureusement, ces documents sont en train d’être renouvelés les ministères en charge de l’Environnement et de l’Energie dans le cadre d’un nouveau cycle de planification. Aussi, une stratégie de développement à faible émission à long terme est en cours d’élaboration, offrant une opportunité d’exprimer de manière plus explicite une volonté politique.
Plusieurs initiatives sur le méthane signalent néanmoins une certaine volonté politique, bien que des défis persistent en matière de communication.
Cadre légal et réglementaire
La loi n°2023-15 du 2 août 2023 portant Code de l’Environnement établit, à son article 133, le principe d’interdiction du torchage, sauf dans les cas exceptionnels limitativement énumérés dans le même article (tels que les opérations d'exploration, les tests de puits, la maintenance et les situations d'urgences). Cet article précise également que les modalités de mise en œuvre, notamment les sanctions administratives et pénales, seront fixées par décret (en cours d’élaboration). Cette disposition fait écho à et renforce l’interdiction du torchage déjà exprimée dans les annexes du Code pétrolier de 2019, bien que ces règlementations ne prennent pas spécifiquement en compte les émissions de méthane. Jusqu'à présent, le Code pétrolier favorisait une approche indirecte, se référant à des normes élaborées par d'autres organismes sans les intégrer directement dans la législation environnementale. Le nouveau Code de l’Environnement prévoit également le principe de pollueur payeur, visant à internaliser les coûts environnementaux des activités économiques en responsabilisant ceux qui les génèrent. Il peut être mis en œuvre par divers mécanismes tels que les taxes sur la pollution, les systèmes de quotas d'émission créant un marché pour les permis d'émission, ainsi que les subventions et incitations financières, entre autres. Le Sénégal a déjà commencé à explorer la taxation carbone. Une étude réalisée par le Consortium pour la Recherche Économique et Sociale (CRES) au Sénégal a montré que cette taxation, avec diverses options de recyclage des revenus, pourrait être l'outil le plus efficace pour aligner les besoins économiques et les priorités de développement du pays. Cela est dû à son faible coût administratif et à son signal de prix direct aux émetteurs.
Les prochaines étapes clés pour actionner et rendre opérationnelles les bonnes pratiques en matière de réduction des émissions de méthane doivent être surveiller de près. L’une des plus imminente est l’élaboration des décrets d’application du nouveau Code de l’Environnement ministère de l’Environnement, et de la Transition Écologique. Ces décrets devront clarifier les situations d’urgence, par exemple, où le torchage est permis.
L’adhésion du gouvernement et du secteur privé aux initiatives internationales
Le Sénégal a récemment adhéré à de nombreuses initiatives, signalant une volonté politique croissante de maitriser les émissions de méthane. Le pays a participé au Global Methane Pledge et s'est engagé à contribuer de manière volontaire à réduire les émissions mondiales de méthane de 30 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. La Coalition pour le climat et l'air pur (CCAC), qui assure les services de secrétariat du Global Methane Pledge, soutient le ministère de l’Environnement et de la Transition Ecologique avec un projet visant à renforcer les capacités des ministères pour évaluer et réduire les émissions de polluants climatiques de courte durée de vie (SLCP). Ce projet prévoit l'élaboration d'un Plan national SLCP et d'une Feuille de route nationale sur le méthane pour la mise à jour de la CDN de 2025. Cette feuille de route identifiera les mesures d’atténuation des SLCP ainsi que les voies et moyens de mise en œuvre dans certains domaines tels que l’énergie. Conformément à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Sénégal devra également soumettre un rapport de transparence biennal (RTB) d'ici le 31 décembre 2024. Ce rapport donnera un signal de la direction du Sénégal car il devra inclure des informations sur les rapports d'inventaire national (RIN), les progrès de la mise en œuvre de la CDN (comprenant les politiques et mesures d'atténuation et d'adaptation, les impacts du changement climatique et l'adaptation, le soutien financier, le développement et le transfert de technologies, ainsi que les besoins et améliorations en matière de renforcement des capacités).
Par ailleurs, le gouvernement a rejoint l'initiative Global Flaring and Methane Reduction Partnership (GFMR) de la Banque mondiale visant à réduire les émissions dues au torchage, à l’éventage et aux fuites de méthane. Récemment, le gouvernement du Sénégal a également rejoint le New Producers for Sustainable Energy (NPSE) qui soutient le développement durable des nouveaux producteurs de pétrole et de gaz, comme le Sénégal, en facilitant le partage de connaissances et d’expériences. Le Sénégal a envoyé à deux reprises une délégation hétérogène de son personnel pour se former et acquérir des compétences nécessaires pour élaborer des plans de réduction des émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier.
En complément des initiatives gouvernementales, les entreprises pétrolières et gazières participent activement à diverses initiatives mondiales, telles que The Oil & Gas Methane Partnership 2.0, Oil and Gas Decarbonization Charter (OGDC), Oil and Gas Climate Initiative (OGCI), Methane Guiding Principles (MGP), World Bank Zero Routine Flaring by 2030 Initiative (ZRI), gérée par le GFMR.
Initiatives mondiales de réduction des émissions de méthane
Oil and Gas Decarbonization Charter (OGDC)
Lancée par la présidence de la COP28 et le Royaume d'Arabie saoudite lors de la COP28 à Dubaï, les signataires s'engagent à atteindre des opérations nettes zéro (scopes 1 et 2) d'ici 2050, à mettre fin au torchage de routine d'ici 2030 et à atteindre des émissions de méthane en amont proches de zéro d'ici 2030 (avec une intensité de méthane de 0,2%). Les signataires s'engagent également à adopter les meilleures pratiques de l'industrie pour la réduction des émissions, notamment en investissant dans le système énergétique du futur, en augmenant la transparence, en mettant en place des mesures et vérifications indépendantes des émissions de GES, s'alignant sur les meilleures pratiques de l'industrie pour accélérer la décarbonisation des opérations d'ici 2030 et réduire la pauvreté énergétique.
Oil and Gas Methane Partnership 2.0 (OGMP 2.0)
Lancé sous l'égide du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, OGMP 2.0 est un cadre de reporting basé sur la mesure. Les membres doivent rapporter annuellement les émissions de méthane de leurs actifs opérés et non opérés, définir et divulguer un objectif de réduction des émissions (soit un objectif d'émissions absolues, soit un objectif d'intensité) et soumettre des plans de mise en œuvre. OGMP 2.0 a été conçu pour aider les membres à progresser via un processus pluriannuel avec des échéances rigoureuses, exigeant une compréhension de plus en plus précise et de meilleure qualité des émissions. Les membres rejoignent une "communauté de pratique" qui inclut des ateliers techniques et des échanges entre pairs sur la transition vers un reporting des émissions de méthane basé sur la mesure.
Oil and Gas Climate Initiative (OGCI)
Cette initiative, dirigée par des PDG, regroupe d'importantes entreprises du secteur pétrolier et gazier. Les engagements des membres incluent des opérations nettes zéro (scopes 1 et 2), l'arrêt du torchage systématique d'ici 2030, et des émissions de méthane en amont proches de zéro d'ici 2030 (intensité de méthane de 0,2%).
Un partenariat d'entreprises et d'organisations internationales qui favorise la collaboration et le partage d'outils pratiques et de directives pour faciliter la réduction du méthane.
World Bank Zero Routine Flaring by 2030 Initiative (ZRF)
Lancée en 2015, l'Initiative ZRF engage les gouvernements et les compagnies pétrolières à mettre fin au torchage systématique au plus tard en 2030. Les gouvernements et les compagnies pétrolières adhérentes s'engagent à rapporter annuellement leurs torchages et les progrès réalisés dans le cadre de l'initiative. Les engagements sont surveillés à travers divers moyens, incluant les rapports des gouvernements et des compagnies, ainsi que les observations par satellite.
Le tableau ci-dessous dresse un état des lieux des entreprises présentes dans le bassin sédimentaire sénégalais et ayant adhéré à ces initiatives.
Tableau 4 : Engagements des entreprises présentes dans le bassin sédimentaire sénégalais à des initiatives de réduction d’émission
Compagnies pétrolières et gazières au Sénégal | OGMP 2.0 | OGDC | OGCI | MGP | ZFI |
BP | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
FORTESA | Non | Non | Non | Non | Non |
Kosmos Energy | Non | Non | Non | Non | Non |
Oranto Petroleum Unlimited | Non | Non | Non | Non | Non |
PETRONAS | Oui | Oui | Oui | Oui | |
PETROSEN | Non | Non | Non | Non | Non |
TotalEnergies | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui |
Trace Atlantic Oil | Non | Non | Non | Non | Non |
Woodside* | Oui | Oui | Oui | Oui |
*Woodside participe également à d’autres initiatives telles que ASEAN MLP, Scope 3 emissions reduction (Midstream Initiative), Advancing Global Methane Reduction, Methane Taskforce (AEP), Methane Taskforce (IPIECA)
Améliorer la transparence et la qualité des rapports dans le secteur énergétique est crucial pour une gestion durable des ressources et pour répondre aux attentes des parties prenantes. Les défis liés au reporting des compagnies pétrolières incluent la couverture insuffisante des entreprises non cotées et des compagnies pétrolières nationales, ainsi que le besoin accru d'audits pour renforcer la confiance et la qualité des données. L'ITIE, avec ses nouvelles exigences de reporting et sa structure multipartite, joue un rôle essentiel dans l'amélioration du reporting des émissions de méthane dans le secteur des hydrocarbures.
Les acteurs de la redevabilité du Sénégal ont besoin de données désagrégées au niveau national ou, idéalement, au niveau des projets pour vérifier si les entreprises respectent leurs engagements au lieu des rapports globaux agrégés qui limitent leur utilité pour les parties prenantes locales. Il est encourageant que certaines entreprises au Sénégal aient adhéré à ces initiatives, mais l'absence de participation de grands acteurs comme Kosmos et PETROSEN soulève des questions.
Stratégies et technologies prévues dans les plans de développement des projets GTA et Sangomar
Cette section examine des stratégies et technologies élaborées dans les plans de développements validées par le gouvernement sénégalais pour réduire les émissions de méthane et améliorer la gestion environnementale des projets pétroliers et gaziers.
Technologies dans la construction du FNLG et du FPSO de GTA
BP prévoit que l’unité flottante de production de stockage et de déchargement (FPSO) et l’unité flottante de gaz naturel liquéfié (FNLG) seront conçues, construites et exploitées de manière à réduire l'utilisation du torchage de manière régulière. Les études d’impact environnemental et social stipulent clairement qu'aucun torchage ne sera effectué pendant les opérations de routine, mais un brûleur de nuit équipé d'un système de purge à l'azote sera utilisé durant les opérations normales.
Ce système de purge à l’azote, bien que coûteux, offrent plusieurs avantages significatifs : il améliore la sécurité en réduisant les risques d’incendie (car l’azote est inerte), augmente la fiabilité opérationnelle en réduisant les interruptions de productions, et contribue surtout à réduire les émissions fugitives de méthane. En effet, le processus de purge à l'azote permet de contrôler précisément l'évacuation du méthane, en le dirigeant vers des systèmes de récupération ou de combustion contrôlée. Sans cette purge, les opérations pétrolières risquent des fuites imprévues de méthane, difficiles à contrôler.
Le gouvernement sénégalais doit s'assurer que le système de purge à l'azote du projet GTA respecte les normes les plus élevées en matière de sécurité, d'efficacité et de protection de l'environnement, conformément aux documents d'ingénierie, aux philosophies de torchage et de purge pour le FPSO et le FLNG, ainsi qu'aux audits et inspections indépendants prévus dans l'étude d'impact environnemental et social.
Réinjection de gaz à Sangomar
Bien que la première phase du projet Sangomar se concentre principalement sur l'exploitation du pétrole, elle comporte également une quantité non négligeable de gaz associé. Ce gaz sera réinjecté durant cette phase initiale, en attendant une réévaluation des options d'utilisation après deux années de production. Woodside utilisera cette période pour évaluer la faisabilité de l'extraction du gaz non associé dans les phases futures, en raison de la complexité des réservoirs. Cette approche démontre une volonté de minimiser le torchage.
Cependant, une décision opérationnelle et rapide les autorités sénégalaises et Woodside sera nécessaire après cette période pour éviter de se retrouver dans une situation où ils devraient choisir entre le torchage et l'extraction. La planification actuelle envisage l'utilisation du gaz de Sangomar dès 2027 pour approvisionner la centrale de Malicounda. Il sera donc crucial pour le gouvernement d'aligner ce calendrier avec la finalisation du Réseau gazier du Sénégal (RGS), qui doit transporter ce gaz. Selon l'évaluation de l'IEA, le RGS est encore en quête de financement, rendant cette coordination d'autant plus essentielle.
Développement de procédures pour la surveillance des émissions de méthane dans les plans de développement des projets en cours
Le gouvernement indique que des procédures ont été mises en place pour surveiller les émissions de méthane dans les projets en cours, soulignant l'importance de la conformité et de la transparence. Ces procédures, qui comprennent des demandes d'autorisations auprès des administrations concernées, visent à garantir le respect des réglementations en vigueur. Des rapports détaillés sont également requis avant et à la fin du processus de torchage pour fournir des données précises sur les émissions réelles. Une plus grande transparence sur ces procédures et le contenu de ces rapports est essentielle pour informer le débat public sur cette question, et soutenir l’évaluation efficace des mesures de réduction des émissions de méthane. En respectant ces pratiques de surveillance, les entreprises du secteur pétrolier et gazier démontrent leur engagement envers la réduction des émissions de méthane.
La définition précise par les ministères en charge de l’Evironnement et des Mines des situations d'urgence dans le cadre de la régulation du torchage de routine au Sénégal est indispensable pour assurer une application uniforme des règlements.
Surmonter les barrières dans la gestion des émissions de méthane au Sénégal
La démarche proactive du gouvernement sénégalais mérite d’être saluée. Malgré sa faible responsabilité climatique et avant même le début de sa production d’hydrocarbures, des solutions sont actuellement en train d’être explorées pour minimiser les émissions de méthane. Un soutien technique et financier provenant des partenaires internationaux pour cet effort est justifié, d'autant plus que le Sénégal peut tirer des leçons des expériences de producteurs établis, tels que le Nigéria. Cependant, pour réussir, il est essentiel de relever certains défis fondamentaux. Dans cette section, nous présentons quelques défis urgents à surmonter afin d'assurer une gestion efficace des émissions dans le secteur pétrolier et gazier en amont.
Défis de transparence dans la déclaration des émissions de méthane
Le principe de transparence, ancré dans les accords de la CCNUCC, auxquels le Sénégal adhère, est renforcé par les règles énoncées dans l'article 13 de l'Accord de Paris. Les règles de mise en œuvre de ces accords, détaillées dans le paquet climat de Katowice, renforcent les obligations des pays en termes de collecte et de qualité des données, en établissant un nouveau cadre de transparence pour les CDN. Cependant, le principal défi dans ce nouveau contexte mondial de transparence réside dans la capacité intrinsèque des pays à mesurer, rendre compte et vérifier les progrès accomplis dans la mise en œuvre de leurs CDN.
Au niveau des opérations pétrolières et gazières au Sénégal, au-delà des rapports périodiques soumis par l’opérateur aux administrations compétentes et des rapports annuels intégrant des mesures des émissions de méthane et de gaz à effet de serre, le contrôle des émissions du gouvernement est assuré par des équipements de mesure et de surveillance, avec un système de comptage disponible sur toutes les installations, complété par des inspections. Le Sénégal dispose également d’un système MRV. Selon un entretien avec le ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, il a aussi été a révélé qu’un système MRV pour chaque projet existe au sein du ministère et un système MRV spécifique au secteur des hydrocarbures est en cours de développement. Bien que le développement de ces systèmes MRV soit essentiel à long terme, à court terme, le Sénégal doit mettre en place des systèmes plus pratiques pour suivre les progrès. Une base de référence solide, contre laquelle l'entreprise peut suivre les progrès, est complexe et demande beaucoup de temps et d'efforts à produire. Dans le processus de collecte de données plus précises, il est fréquent que les entreprises constatent que leurs émissions sont en réalité beaucoup plus élevées que les niveaux initialement estimés (même dans des pays comme les États-Unis, où la mesure du méthane est la plus développée). Se concentrer uniquement sur ces systèmes de MRV risque donc de décourager l'action. Le Sénégal devrait donc définir des objectifs à court terme pour suivre et démontrer les progrès, notamment en matière de détection, gestion et prévention des événements de super-émetteurs ; d'arrêt du torchage et de la ventilation non routinière ; et de détection et de réparation des fuites pour traiter les émissions fugitives.
Un Système d’Information Energétique (SIE) existe déjà et est logé au sein du Ministère en de l’Energie, du Pétrole et des Mines. Cependant, certains rapports indiquent que les membres du SIE ne sont pas tous formés sur les aspects liés au changement climatique. Le SIE fait face à plusieurs défis majeurs : un budget insuffisant, un manque de financement pour la collecte de données, l'absence d'un portail web d'accès aux données, et un manque d'outils informatiques et de logistique adaptés. Pour remédier à ces lacunes, les responsables du Ministère en charge de l’Energie devrait renforcer les capacités en matière de production, de traitement et d’analyse des données d’inventaire des gaz à effet de serre.et caractériser les consommations d’énergie et les émissions des industries selon les directives du GIEC.
Malgré ces initiatives en faveur d’une meilleure transparence, plusieurs défis importants sont à signaler :
- Une vérification indépendante et systématique des estimations d’émissions de méthane. Sans audit externe, les gouvernements peinent à garantir la précision des données fournies par les opérateurs, qui pourraient sous-estimer les émissions pour réduire leur responsabilité. Le gouvernement doit renforcer les systèmes MRV avec des audits réguliers par des tiers pour assurer l'intégrité des données. De plus, la réglementation sur le méthane de l'UE, qui a été provisoirement approuvée par les organes législatifs de l'UE fin 2023, stipule qu'à partir de janvier 2027, tous les gaz domestiques et importés doivent se conformer à des normes strictes de MRV. Cela inclut la nécessité de démontrer une équivalence ou une conformité supérieure aux normes de l'Union Européenne (UE), ce qui exige une vérification indépendante par un tiers des données d'émissions. Cette mesure vise à accroître la transparence et la fiabilité des rapports, et à garantir que les données soumises par les fournisseurs de gaz répondent à des normes élevées de précision. La réglementation précise que la vérification doit être effectuée par des organismes accrédités, indépendants des opérateurs et des importateurs soumis à la réglementation. Cette exigence est cruciale pour atténuer tout conflit d'intérêts potentiel et assurer des rapports impartiaux. Pour répondre aux préoccupations liées au respect des exigences de déclaration ou aux contestations non fondées des estimations du gouvernement par les entreprises, le gouvernement pourrait appliquer la proposition innovante du Fonds Monétaire International (FMI) de baser les redevances sur le méthane en fonction des niveaux de production de pétrole et de gaz ainsi que des facteurs de taux d'émission présumés. La charge de la preuve pour démontrer des taux d'émission inférieurs à ceux par défaut incomberait aux entreprises ; une fois cette preuve fournit, elles recevraient un remboursement de la part du gouvernement. La participation du Sénégal au nouveau programme de Résilience et de Durabilité (RSF) du FMI pour l'atténuation du changement climatique devrait fournir un soutien financier et technique précieux pour mettre en œuvre ces mesures et d'autres initiatives.
- L’absence d'exigences légales pour que les entreprises partagent leurs méthodologies d’estimation. Sans cette transparence, les données fournies peuvent être biaisées et difficilement vérifiables, ce qui risque de sous-estimer les émissions réelles et de compromettre les efforts de réduction. De plus, les variations des méthodologies entre entreprises rendent la comparaison et l'agrégation des données nationales complexes, entravant ainsi la création de rapports précis et l'élaboration de stratégies de réduction des émissions. Imposer des réglementations obligeant les entreprises à partager leurs méthodologies améliorerait la transparence et la précision des données pour les décideurs publics. Le gouvernement devrait travailler à l'harmonisation des référentiels d'inventaire avec les opérateurs.
- L'amélioration de la qualité des données sur les émissions de méthane au Sénégal. Pour ce faire, le gouvernement devra de mettre en place des mécanismes efficace de validation des données à plusieurs niveaux et de corriger les écarts nécessaires selon les normes du GIEC et celles actuellement recueillies par les systèmes de suivi et d'évaluation sectoriels. Ce processus permettra de mieux informer les politiques et les actions visant à atténuer les effets du changement climatique et à promouvoir le développement durable au Sénégal.
- Le renforcement de la réglementation en cours de développement afin d’accroître la transparence en intégrant des exigences plus strictes. L'ITIE a un rôle important à jouer dans le renforcement de la transparence. En effet, les exigences 2.1 b, c, e et 3.4 de la norme 2023 encouragent les États et les entreprises à divulguer leurs politiques et leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Influencer les prochains rapports de conciliation pourrait permettre d'obtenir plus d'informations sur les profils d'émissions ainsi que sur les engagements de l'État en matière de réduction des GES. Plus important encore, cela contribue à renforcer la responsabilité des compagnies, permettant également au gouvernement de vérifier comment les émissions annuelles des entreprises se comparent aux estimations incluses dans l'EIES.
En définitive, l'amélioration de la transparence et la qualité des données sur les émissions de méthane au Sénégal est essentielle pour informer efficacement les politiques et les actions visant à atténuer les effets du changement climatique et à promouvoir le développement durable.
Renforcer l’implication de PETROSEN
La gestion du méthane dans le secteur de l'énergie est un enjeu complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle et l'implication de diverses parties prenantes. La gestion efficace des émissions de méthane nécessite une coopération interinstitutionnelle et une approche intégrée combinant les politiques environnementales, énergétiques et maritimes pour assurer une gestion cohérente. La coordination entre les différents acteurs est souvent complexe et peut entraîner des inefficacités.
Au Sénégal, plusieurs institutions jouent un rôle crucial dans la gestion des émissions de méthane dans le secteur de l'énergie, comme présenté dans le tableau ci-dessous :
Tableau 5 : Les institutions et leurs fonctions
Institutions | Fonctions |
---|---|
Ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines | Mise en œuvre et supervision des politiques gouvernementales liées au secteur des hydrocarbures. |
Ministère de l’Environnement, et de la Transition Écologique (MEDDTE) | Formulation et mise en œuvre des politiques de surveillance de l'environnement et de prévention de la pollution dans tous les secteurs. |
Agence Nationale des Affaires maritimes (ANAM) | Mise en œuvre de la politique maritime et application des conventions internationales, codes et réglementations maritimes. |
Direction de la Règlementation Environnementale et du Contrôle (DIREC) | Mise en œuvre de la politique environnementale du gouvernement, protection contre les pollutions et nuisances. |
Groupe de travail interministériel (GTI) | Coordination des actions interinstitutionnelles pour la réduction des émissions de méthane. |
Comité National sur les Changements Climatiques (COMNACC) | Organe de concertation et de coordination qui appui le ministère en charge de l’environnement dans la mise en œuvre de la CCNUCC. |
Cette diversité d'acteurs intégrée dans l’approche du Sénégal pour traiter efficacement les émissions de méthane montre que le gouvernement reconnait le caractère multidimensionnel de la gestion du méthane. Cependant, certaines institutions, telles que PETROSEN et ses filiales, qui sont impliquées dans la chaîne de valeur, ont un rôle essentiel à jouer. Les compagnies nationales pétrolières (NOCs) doivent jouer un rôle plus important dans le cadre de la gestion des émissions de méthane du secteur pétrolier pour plusieurs raisons. Une gestion proactive des émissions de méthane par les NOCs peut non seulement contribuer à ralentir le réchauffement climatique, mais aussi éviter des pertes économiques liées au torchage et à la fuite de gaz, tout en répondant aux attentes croissantes des investisseurs et des régulateurs en matière de performance environnementale. Cela est d’autant plus important que les NOCs jouent un rôle crucial en aidant les États à exercer un contrôle efficace des projets pour réguler le rythme et les moyens de production. C’est pourquoi les NOCs ont reçu une attention plus forte ces dernières années. Lors de la COP28, cinquante entreprises, dont 30 NOCs, parmi lesquelles six NOCs africaines (notamment Sonangol d'Angola, NNPC du Nigeria et Namcor de Namibie), ont signé une charte de décarbonisation engageant à réduire à zéro les émissions de portée 1 et 2, à atteindre une intensité de méthane de 0,2 %, et à éliminer le torchage de routine d'ici 2030.
Au Sénégal, PETROSEN exerce un mandat étendu qui englobe non seulement l'amont, mais aussi le transport et l'aval à travers ses filiales RGS et PETROSEN TS, entre autres. En tant qu'acteur clé du secteur des hydrocarbures, PETROSEN n’a pas encore signé la charte de décarbonisation et gagnerait à intensifier son implication dans la gestion des émissions de méthane pour les raisons spécifiées plus haut. En adoptant des pratiques de gestion proactive du méthane, PETROSEN pourrait non seulement renforcer sa position sur la scène mondiale en attirant des investissements internationaux et des partenariats technologiques, mais aussi assumer pleinement ses responsabilités envers l'environnement. En effet, PETROSEN pourraitt bénéficier d'un accès à diverses opportunités de financement pour la réduction du méthane.
Faible contribution de la société civile
La société civile peut jouer un rôle important dans la gestion des émissions de méthane en tant que force de veille, de sensibilisation et de plaidoyer. En surveillant les activités industrielles et en exigeant la transparence des données, elle contribue à l'identification des sources d'émissions et à la responsabilisation des entreprises. De plus, en sensibilisant le public aux impacts environnementaux et sanitaires du méthane et en plaidant en faveur de politiques et de pratiques plus durables, la société civile exerce une pression pour des mesures concrètes de réduction des émissions.
Cependant, la société civile, les groupes de réflexion et les universitaires au Sénégal ne sont pas encore suffisamment sensibilisés sur l'importance des émissions de méthane et à leur impact sur le climat. Bien que les problématiques environnementales et sanitaires soient au cœur des préoccupations de plusieurs organisations de la société civile (OSC) sénégalaises, très peu d'entre elles se concentrent spécifiquement sur les émissions de méthane. Ces OSC ont une connaissance limitée des émissions de méthane, particulièrement celles issues de l'industrie des hydrocarbures. Au cours des entretiens avec des représentants de quelques organisations, il est devenu évident qu'elles aspirent à une plus grande participation aux processus de planification stratégique de l'État sénégalais en matière de réduction des émissions de méthane. Elles souhaitent être davantage consultées et intégrées dans l'élaboration des plans de lutte contre le méthane afin de contribuer pleinement aux objectifs et engagements nationaux. Ce besoin nécessite un dialogue plus approfondi entre le gouvernement et les acteurs de la société civile sur cette question et un renforcement des capacités des partenaires techniques et financiers pour permettre à ces acteurs de mieux comprendre, suivre et s’impliquer dans actions liées aux engagements du Sénégal en matière d'émissions de méthane.
Les médias sénégalais peuvent jouer un rôle crucial dans la gestion des émissions de méthane en sensibilisant le public sur les impacts environnementaux et en surveillant les pratiques des entreprises. Ils peuvent également mobiliser l'opinion publique pour soutenir des mesures de réduction des émissions de méthane et contribuer au dialogue entre les parties prenantes pour promouvoir la transparence et la responsabilité.
Conclusion
La gestion des émissions de méthane au Sénégal constitue un enjeu majeur alors que le pays avance dans le développement de son industrie pétrolière et gazière. Bien que le Sénégal soit actuellement un faible émetteur de méthane, l'expansion prévue de ce secteur suscite des inquiétudes quant à son impact futur sur les émissions. Cette croissance pourrait non seulement affecter la compétitivité des projets sénégalais, mais aussi avoir des répercussions environnementales.
Bien que la volonté politique de réduire ces émissions soit claire et qu’une démarche proactive soit présente, le gouvernement doit intégrer ces efforts explicitement dans les stratégies nationales pour assurer une action coordonnée et efficace. Cela implique une surveillance rigoureuse, l'adoption de technologies innovantes et des pratiques de gestion environnementale efficaces. Par ailleurs, la transparence des données et la garantie d'audits indépendants sont des éléments cruciaux pour garantir l'efficacité des mesures de réduction des émissions. Parallèlement, l'implication proactive de PETROSEN et un engagement accru de la société civile sont également nécessaires pour renforcer la responsabilité et encourager une transition vers des politiques plus durables.
En définitive, la réduction des émissions de méthane au Sénégal est cruciale non seulement pour atténuer les effets du changement climatique, mais aussi pour favoriser un développement économique durable et résilient. Une action collective et une vision à long terme sont nécessaires pour garantir un avenir plus propre et prospère pour tous les Sénégalais. Il est impératif que les autorités sénégalaises agissent dès maintenant pour éviter de reproduire les erreurs passées d'autres pays, comme le Nigeria, en matière d'émissions de méthane, et d'adopter des mesures préventives et durables pour assurer un développement énergétique responsable au Sénégal.
Remerciements
Les auteurs remercient Thaddee Aldiouma Seck, Abdou Gueye et Babacar Sarr pour leurs contributions importantes et leurs précieux conseils et perspectives. Ils souhaitent également remercier leurs collègues de NRGI, en particulier : Amir Shafaie, Abdoulaye Ba, Thomas Scurfield, Rob Pitman, Alex Malmqvist et Lee Bailey pour leurs contributions substantielles.
Authors
Papa Daouda Diene
Senior Africa Economic Analyst
Aida Diop
Senegal Senior Program Officer